La Suisse et le Royaume-Uni ont annoncé cette semaine avoir conclu un protocole qui leur permettra - selon leur propre interprétation - de maintenir les grandes lignes de leur accord "Rubik". L'accord vise à préserver le secret bancaire (et tout ce qu'il implique en termes d'évasion fiscale) en échange d'un prélèvement opéré par les banques suisses elles-mêmes sur les revenus des contribuables britanniques.
Le ministère suisse des Finances a pris le soin de publier son communiqué de presse mardi matin, alors qu'à Londres, la presse politique s'affairait au budget day (voir ici). La couverture du sujet, important pourtant pour les finances publiques du Royaume-Uni, fut dès lors "décousue et peu critique", note le journaliste Nicholas Shaxson sur son blog (ici).
L'affaire ne concerne pas que les sujets de sa majesté. La stratégie Rubik, mise au point par les banques suisses elles-mêmes (ici), vise en effet à mettre à mal les efforts déployés en Europe pour rapiécer le filet de lutte contre l'évasion fiscale (la directive sur la fiscalité de l'épargne). Les pays européens de secret bancaires (Autriche et Luxembourg) prétextent en effet de l'existence d'accords Rubik pour refuser tout progrès en la matière. L'Allemagne, qui a conclu un accord Rubik à l'instar du Royaume-Uni, joue elle aussi un jeu trouble dans ce dossier (ici). Ce blocage intra-européen fait en retour l'affaire de la Suisse, que l'UE peut difficilement mettre sous pression alors qu'elle est divisée.
La Commission européenne a déjà fait savoir qu'elle n'hésiterait pas à contester devant la justice tout accord non-conforme au droit communautaire. Les jours du protocole Suisse-Royaume-Uni semblent donc comptés. Mais pendant que les discussions se traînent, les canaux de l'évasion fiscale restent largement ouverts... Rien de neuf sous le soleil. Faute de parvenir à légitimer leur existence, les paradis fiscaux ont toujours recouru aux manoeuvres dilatoires. Combien de temps encore doit-on l'accepter ?
vendredi 23 mars 2012
mercredi 21 mars 2012
Comment rétablir le pouvoir de l'Etat dans un monde sans frontières: quelques exemples récents de mesures extraterritoriales
En estompant les frontières à la circulation des personnes, des idées, des biens et des services, la mondialisation a sans nul doute apporté son lot de bénéfices. La libéralisation des mouvements de capitaux présente un bilan plus mitigé - c'est un euphémisme. L'un des aspects les plus dérangeants du processus est la façon dont il a favorisé l'émergence d'une classe de super-riches et d'entreprises multinationales qui semblent échapper aux lois nationales, et notamment à l'impôt, aussi facilement qu'on survole les frontières à bord d'un jet privé. En transférant leurs profits d'une filiale à l'autre, en exploitant les trous du patchwork réglementaire international, les multinationales réduisent à presque rien leur facture fiscale. Les individus les plus fortunés peuvent eux aussi limiter leur contribution en plaçant leurs revenus à l'étranger. Dans un monde aux frontières désormais floues, les Etats semblent incapables d'imposer leur volonté. Le ressentiment de la population contre des politiciens impuissants augmente en conséquence.
Si la crise financière de 2008 n'a pas fondamentalement changé le cours de la mondialisation libérale, plusieurs signes laissent penser que les responsables politiques, las de passer pour des pantins, veulent désormais exercer leur autorité au-delà des frontières nationales. Je voudrais donner ici quelques exemples récents d'actions extraterritoriales. Esquisser le potentiel et les limites de ces mesures ou propositions qui feront sans nul doute couler encore beaucoup d'encre.
L'exemple le plus parlant est la législation américaine FATCA . Plutôt que d'attendre en vain une coopération des pays tiers dans leur lutte contre l'évasion fiscale, les Etats-Unis ont adopté un dispositif qui imposera un prélèvement très dissuasif à toutes les banques étrangères ne leur communiquant pas les informations sur les contribuables américains en leur possession. Cette loi, qui doit entrer en application à la fin de l'année, provoque un malaise dans les autres pays: difficile d'accepter en effet que Washington, dans une sorte de prérogative impériale, prélève l'impôt au-delà de ses frontières sans aucune concertation. Cette brutalité se justifie néanmoins face à des paradis fiscaux non-coopératifs et face à l'inventivité sans limite des fiscalistes pour aider leurs clients à contourner l'impôt. Pour être totalement légitime, FATCA devrait se transformer en un accord international d'échange automatique d'informations. L'accord conclu avec cinq grands pays européens ouvre la voie à cette coopération. Il devrait être étendu (voir ce que j'ai écrit à ce sujet ici et ici)
L'impôt sur la nationalité proposé par le président-candidat Sarkozy est un autre exemple de mesure extraterritoriale. L'un des rares pays d'Europe à prélever un impôt sur la fortune (ISF), la France est frustrée de voir ses citoyens les plus fortunés s'exiler en Belgique, en Suisse, au Luxembourg ou plus loin encore (voir ici). Face à la quasi-impossibilité d'une harmonisation fiscale en Europe, il n'est pas étonnant de voir poindre la tentation de mesures unilatérales. Nicolas Sarkozy propose de s'inspirer du modèle américain, où les citoyens sont redevables de l'impôt indépendamment de le lieu de résidence et indépendamment de l'origine de leurs revenus. Plus précisément, il veut forcer les Français de l'étranger à s'acquitter auprès du fisc de la différence entre l'impôt sur le capital payé dans leur pays de résidence et ce qu'ils auraient eu à verser en France. La proposition ne porte pas sur l'ISF.
L'idée est tout sauf neuve: il y a quelques années, des socialistes, dont Dominique Strauss-Kahn, avaient proposé un "impôt citoyen", rebaptisé "impôt Johnny" en référence à un exilé fiscal célèbre. En 2010, le socialiste Jérôme Cahuzac, président de la Commission des finances de l'Assemblée nationale, a remis la proposition sur la table, mais elle fut combattue par... Nicolas Sarkozy (voir cet article du Monde). Aujourd'hui, François Hollande maintient l'idée, étendue chez lui à l'ISF.
Au-delà du débat électoraliste et quelle que soit la formule retenue, la taxe sur la nationalité repose sur l'idée que la citoyenneté est un privilège, dont l'impôt est une contrepartie. La seule façon d'y échapper est de renoncer la nationalité. En cela, la taxe apporte une solution puissante à la problématique de l'expatriation fiscale. Il faut noter qu'elle s'ajouterait à la nouvelle mouture d'une "exit tax", consistant à imposer les revenus au moment de l'expatriation, une taxe que le gouvernement peine toutefois à mettre en oeuvre (voir cet article des Echos).
On peut s'interroger sur la pertinence de substituer le principe de nationalité au principe de résidence, une mesure qui risque de provoquer des frictions avec les pays tiers, ainsi qu'avec le droit européen. Sans parler des problèmes de double imposition. Une coopération internationale serait nettement préférable aux mesures unilatérales. A moins que ces dernières ne soient qu'un premier pas vers la première.
La Taxe sur les transactions financières (TTF) permet de considérer la problématique d'un autre point de vue. Ici, une proposition a été déposée - après une longue attente - dans le cadre européen. Les Etats membres ont donc une possibilité concrète de mettre en oeuvre cette coordination seule à même d'assurer un régime équitable. Pour l'instant, un accord unanime semble impossible. Faute d'accord à 27, un groupe avancé, par exemple la zone euro, pourrait aller de l'avant, dans l'espoir d'être rejoint par le reste de l'UE. De même que la taxe européenne doit elle-même inciter le reste de la planète à emboîter le pas.
Il est intéressant de noter que la proposition de la Commission a été conçue sur base d'un critère d'implantation: sont taxées les deux parties à une opération financière, pour autant que l'une d'entre elle soit implantée en Europe. Les conséquences sont multiples: d'une part, on évite de taxer les transactions en fonction du lieu où elles sont enregistrées. De la sorte, on évite de pénaliser outrancièrement les grands centres financiers, comme le City de Londres et on minimise le risque de délocalisations ("financial leakage", dans le jargon). D'autre part, on introduit un élément d'extraterritorialité, puisqu'un opérateur d'un pays tiers sera taxé pour une transaction conclue avec un opérateur européen. Il faudra voir comment les centres financiers mondiaux, de Wall Street à Hongkong, réagiront à cette mesure qui les visera. Leurs Etats ont jusqu'à présent refusé toute TTF à l'échelle mondiale. On peut avoir un avant-goût des réactions en considérant la polémique née autour de l'inclusion de l'aviation dans le système d'échange de quotas d'émission de CO2. Afin de limiter les émissions, l'Union européenne vient de l'inclure le secteur aérien dans son système ETS de quotas d'émission. Le mesure touche surtout les compagnies européennes, mais aussi celles des pays tiers qui décollent ou atterrissent en Europe. Le reste de la planète déteste la mesure. La Chine a même menacé de cesser d'acheter des Airbus si elle est maintenue. Si l'Europe doit choisir entre Airbus et le climat, que choisira-t-elle ?
Ces exemples illustrent, chacun à leur manière, la difficulté d'une action publique efficace dans un monde globalisé. Face à l'infinie lenteur du processus de décision mondial ou européen, l'inaction n'est pas une option acceptable. Un peu l'image de la façon dont l'Union soviétique hésita à mettre en oeuvre le "socialisme dans un seul pays" -toutes proportions gardées-, certains pays ou blocs de pays sont tentés d'avancer seuls. Mais les mesures unilatérales à portée extra-territoriale brusquent les voisins, se heurtent au droit existant et risquent de provoquer des mesures de rétorsion. Plus fondamentalement, elles comportent un risque d'échec important. La Suède, qui dut abroger à la hâte sa propre taxe sur les transactions financières dans les années 1990 après avoir constaté la fuite de son secteur financier à Londres en sait quelque chose. Elle est aujourd'hui l'un des plus farouches opposants à la TTF européenne.
Entre l'inaction et le risque élevé d'échec, les choix ne sont pas faciles. Un travail de fond, qui permettrait de convaincre les opinions publiques nationales qu'une coopération entre Etats est préférable à leur mise en concurrence, serait sans doute la meilleure manière d'avancer. Hélas, il est plus probable que les dirigeants continueront d'agir à leur (petite) mesure, à coups d'actions unilatérales et de contre-mesures.
Si la crise financière de 2008 n'a pas fondamentalement changé le cours de la mondialisation libérale, plusieurs signes laissent penser que les responsables politiques, las de passer pour des pantins, veulent désormais exercer leur autorité au-delà des frontières nationales. Je voudrais donner ici quelques exemples récents d'actions extraterritoriales. Esquisser le potentiel et les limites de ces mesures ou propositions qui feront sans nul doute couler encore beaucoup d'encre.
L'exemple le plus parlant est la législation américaine FATCA . Plutôt que d'attendre en vain une coopération des pays tiers dans leur lutte contre l'évasion fiscale, les Etats-Unis ont adopté un dispositif qui imposera un prélèvement très dissuasif à toutes les banques étrangères ne leur communiquant pas les informations sur les contribuables américains en leur possession. Cette loi, qui doit entrer en application à la fin de l'année, provoque un malaise dans les autres pays: difficile d'accepter en effet que Washington, dans une sorte de prérogative impériale, prélève l'impôt au-delà de ses frontières sans aucune concertation. Cette brutalité se justifie néanmoins face à des paradis fiscaux non-coopératifs et face à l'inventivité sans limite des fiscalistes pour aider leurs clients à contourner l'impôt. Pour être totalement légitime, FATCA devrait se transformer en un accord international d'échange automatique d'informations. L'accord conclu avec cinq grands pays européens ouvre la voie à cette coopération. Il devrait être étendu (voir ce que j'ai écrit à ce sujet ici et ici)
L'impôt sur la nationalité proposé par le président-candidat Sarkozy est un autre exemple de mesure extraterritoriale. L'un des rares pays d'Europe à prélever un impôt sur la fortune (ISF), la France est frustrée de voir ses citoyens les plus fortunés s'exiler en Belgique, en Suisse, au Luxembourg ou plus loin encore (voir ici). Face à la quasi-impossibilité d'une harmonisation fiscale en Europe, il n'est pas étonnant de voir poindre la tentation de mesures unilatérales. Nicolas Sarkozy propose de s'inspirer du modèle américain, où les citoyens sont redevables de l'impôt indépendamment de le lieu de résidence et indépendamment de l'origine de leurs revenus. Plus précisément, il veut forcer les Français de l'étranger à s'acquitter auprès du fisc de la différence entre l'impôt sur le capital payé dans leur pays de résidence et ce qu'ils auraient eu à verser en France. La proposition ne porte pas sur l'ISF.
L'idée est tout sauf neuve: il y a quelques années, des socialistes, dont Dominique Strauss-Kahn, avaient proposé un "impôt citoyen", rebaptisé "impôt Johnny" en référence à un exilé fiscal célèbre. En 2010, le socialiste Jérôme Cahuzac, président de la Commission des finances de l'Assemblée nationale, a remis la proposition sur la table, mais elle fut combattue par... Nicolas Sarkozy (voir cet article du Monde). Aujourd'hui, François Hollande maintient l'idée, étendue chez lui à l'ISF.
Au-delà du débat électoraliste et quelle que soit la formule retenue, la taxe sur la nationalité repose sur l'idée que la citoyenneté est un privilège, dont l'impôt est une contrepartie. La seule façon d'y échapper est de renoncer la nationalité. En cela, la taxe apporte une solution puissante à la problématique de l'expatriation fiscale. Il faut noter qu'elle s'ajouterait à la nouvelle mouture d'une "exit tax", consistant à imposer les revenus au moment de l'expatriation, une taxe que le gouvernement peine toutefois à mettre en oeuvre (voir cet article des Echos).
On peut s'interroger sur la pertinence de substituer le principe de nationalité au principe de résidence, une mesure qui risque de provoquer des frictions avec les pays tiers, ainsi qu'avec le droit européen. Sans parler des problèmes de double imposition. Une coopération internationale serait nettement préférable aux mesures unilatérales. A moins que ces dernières ne soient qu'un premier pas vers la première.
La Taxe sur les transactions financières (TTF) permet de considérer la problématique d'un autre point de vue. Ici, une proposition a été déposée - après une longue attente - dans le cadre européen. Les Etats membres ont donc une possibilité concrète de mettre en oeuvre cette coordination seule à même d'assurer un régime équitable. Pour l'instant, un accord unanime semble impossible. Faute d'accord à 27, un groupe avancé, par exemple la zone euro, pourrait aller de l'avant, dans l'espoir d'être rejoint par le reste de l'UE. De même que la taxe européenne doit elle-même inciter le reste de la planète à emboîter le pas.
Il est intéressant de noter que la proposition de la Commission a été conçue sur base d'un critère d'implantation: sont taxées les deux parties à une opération financière, pour autant que l'une d'entre elle soit implantée en Europe. Les conséquences sont multiples: d'une part, on évite de taxer les transactions en fonction du lieu où elles sont enregistrées. De la sorte, on évite de pénaliser outrancièrement les grands centres financiers, comme le City de Londres et on minimise le risque de délocalisations ("financial leakage", dans le jargon). D'autre part, on introduit un élément d'extraterritorialité, puisqu'un opérateur d'un pays tiers sera taxé pour une transaction conclue avec un opérateur européen. Il faudra voir comment les centres financiers mondiaux, de Wall Street à Hongkong, réagiront à cette mesure qui les visera. Leurs Etats ont jusqu'à présent refusé toute TTF à l'échelle mondiale. On peut avoir un avant-goût des réactions en considérant la polémique née autour de l'inclusion de l'aviation dans le système d'échange de quotas d'émission de CO2. Afin de limiter les émissions, l'Union européenne vient de l'inclure le secteur aérien dans son système ETS de quotas d'émission. Le mesure touche surtout les compagnies européennes, mais aussi celles des pays tiers qui décollent ou atterrissent en Europe. Le reste de la planète déteste la mesure. La Chine a même menacé de cesser d'acheter des Airbus si elle est maintenue. Si l'Europe doit choisir entre Airbus et le climat, que choisira-t-elle ?
Ces exemples illustrent, chacun à leur manière, la difficulté d'une action publique efficace dans un monde globalisé. Face à l'infinie lenteur du processus de décision mondial ou européen, l'inaction n'est pas une option acceptable. Un peu l'image de la façon dont l'Union soviétique hésita à mettre en oeuvre le "socialisme dans un seul pays" -toutes proportions gardées-, certains pays ou blocs de pays sont tentés d'avancer seuls. Mais les mesures unilatérales à portée extra-territoriale brusquent les voisins, se heurtent au droit existant et risquent de provoquer des mesures de rétorsion. Plus fondamentalement, elles comportent un risque d'échec important. La Suède, qui dut abroger à la hâte sa propre taxe sur les transactions financières dans les années 1990 après avoir constaté la fuite de son secteur financier à Londres en sait quelque chose. Elle est aujourd'hui l'un des plus farouches opposants à la TTF européenne.
Entre l'inaction et le risque élevé d'échec, les choix ne sont pas faciles. Un travail de fond, qui permettrait de convaincre les opinions publiques nationales qu'une coopération entre Etats est préférable à leur mise en concurrence, serait sans doute la meilleure manière d'avancer. Hélas, il est plus probable que les dirigeants continueront d'agir à leur (petite) mesure, à coups d'actions unilatérales et de contre-mesures.
Libellés :
Etats-Unis,
FATCA,
France,
TTF
vendredi 16 mars 2012
Une étude démonte la "futilité" de l'action internationale contre les paradis fiscaux
Le Forum global sur la transparence et l'échange d'informations à des fins fiscales, ça vous dit quelque chose ? Non, sans doute. Et pourtant, c'est le principal instrument dont dispose la communauté internationale pour combattre les paradis fiscaux. Depuis une dizaine d'années, cette institution créée dans le cadre de l'OCDE (mais ouverte à tous les pays de la planète) oeuvre à promouvoir l'échange d'informations fiscales entre les pays, afin de réduire l'évasion fiscale (voir ici et ici).
L'anonymat dans lequel travaille le Forum en dit long sur le manque de priorité politique donnée à la lutte contre les paradis fiscaux. Il est aussi révélateur de la "futilité rampante" de l'institution, qui n'obtient presque aucun résultat valable, selon Markus Meinzer, un chercheur de Tax Justice Network (TJN), qui vient de publier une analyse assez approfondie sur le sujet.
Dans ce document de 25 pages, TJN fait état de quelques progrès modestes, mais révèle surtout l'inefficacité de l'action internationale contre les juridictions non-coopératives. Au coeur du problème se trouve ce qu'on appelle désormais "le standard fiscal agréé au niveau international": cette norme se fonde sur un "échange d'information à la demande", qui permet d'avoir accès sous des conditions rigoureuses aux informations nécessaires pour prélever l'impôt à l'étranger, mais reste très insuffisant pour combattre efficacement l'évasion fiscale. TJN et d'autres organisations réclament de longue date un "échange automatique" d'informations, mais les paradis fiscaux et leurs alliés y résistent farouchement. En appliquant "le standard international agréé", ils peuvent en effet se donner une image de vertu, tout en continuant d'attirer les capitaux douteux, provenant de l'évasion fiscale ou de la corruption.
Bien que le Forum global soit un instrument utile pour permettre une coopération fiscale entre les Etats, le risque est qu'il soit utilisé pour prétendre que les paradis fiscaux ne sont plus tolérés, alors que la réalité est bien mois glorieuse.
L'anonymat dans lequel travaille le Forum en dit long sur le manque de priorité politique donnée à la lutte contre les paradis fiscaux. Il est aussi révélateur de la "futilité rampante" de l'institution, qui n'obtient presque aucun résultat valable, selon Markus Meinzer, un chercheur de Tax Justice Network (TJN), qui vient de publier une analyse assez approfondie sur le sujet.
Dans ce document de 25 pages, TJN fait état de quelques progrès modestes, mais révèle surtout l'inefficacité de l'action internationale contre les juridictions non-coopératives. Au coeur du problème se trouve ce qu'on appelle désormais "le standard fiscal agréé au niveau international": cette norme se fonde sur un "échange d'information à la demande", qui permet d'avoir accès sous des conditions rigoureuses aux informations nécessaires pour prélever l'impôt à l'étranger, mais reste très insuffisant pour combattre efficacement l'évasion fiscale. TJN et d'autres organisations réclament de longue date un "échange automatique" d'informations, mais les paradis fiscaux et leurs alliés y résistent farouchement. En appliquant "le standard international agréé", ils peuvent en effet se donner une image de vertu, tout en continuant d'attirer les capitaux douteux, provenant de l'évasion fiscale ou de la corruption.
Bien que le Forum global soit un instrument utile pour permettre une coopération fiscale entre les Etats, le risque est qu'il soit utilisé pour prétendre que les paradis fiscaux ne sont plus tolérés, alors que la réalité est bien mois glorieuse.
Libellés :
OCDE,
Paradis fiscaux
mercredi 7 mars 2012
PME et multinationales inégales face à l'impôt
Les chiffres doivent être remis en question, car ils émanent d'une société de conseil aidant les PME à réduire leur facture fiscale en Belgique. Mails ils interpellent. Selon une étude de Deloitte Fiduciaire, "plus de la moitié des petites et moyennes entreprises sont soumises à un taux d’imposition d’au moins 27,9%. Une PME bénéficiaire sur quatre paie même le taux maximum de 33,8%
et plus. Seulement une entreprise sur quatre paie moins de 18,6 %
d’impôt sur le bénéfice déclaré".
Il est difficile de ne pas comparer ces chiffres avec les taux planchers ou nuls dont bénéficient de nombreuses multinationales en Belgique, comme le montre ce Top 50 des entreprises bénéficiant des plus grosses ristournes fiscales, publié par le PTB (des chiffres qui n'ont pas été contestés, à ma connaissance).
Même avec les pincettes qui s'imposent, ces chiffres confirment l'impression de petits contribuables soumis à une fiscalité élevée, tandis qu'un grand capitalisme international échappe complètement à l'impôt, au travers de constructions juridiques opaques et de filiales implantées dans les paradis fiscaux ou autres pays offrant des rabais, comme les intérêts notionnels en Belgique.
Seul l'abandon de la concurrence fiscale entre Etats au profit d'une vraie coopération internationale permettra de changer ce cadre injuste. Les propositions concrètes existent, notamment celle d'assiette fiscale harmonisée européenne (CCCTB), mais elles ne reçoivent aujourd'hui aucune priorité politique, les Etats préférant se court-circuiter les uns les autres - un cas typique du dilemme du prisonnier.
Il est difficile de ne pas comparer ces chiffres avec les taux planchers ou nuls dont bénéficient de nombreuses multinationales en Belgique, comme le montre ce Top 50 des entreprises bénéficiant des plus grosses ristournes fiscales, publié par le PTB (des chiffres qui n'ont pas été contestés, à ma connaissance).
Même avec les pincettes qui s'imposent, ces chiffres confirment l'impression de petits contribuables soumis à une fiscalité élevée, tandis qu'un grand capitalisme international échappe complètement à l'impôt, au travers de constructions juridiques opaques et de filiales implantées dans les paradis fiscaux ou autres pays offrant des rabais, comme les intérêts notionnels en Belgique.
Seul l'abandon de la concurrence fiscale entre Etats au profit d'une vraie coopération internationale permettra de changer ce cadre injuste. Les propositions concrètes existent, notamment celle d'assiette fiscale harmonisée européenne (CCCTB), mais elles ne reçoivent aujourd'hui aucune priorité politique, les Etats préférant se court-circuiter les uns les autres - un cas typique du dilemme du prisonnier.
Libellés :
Belgique,
CCCTB,
impôt des sociétés
dimanche 4 mars 2012
FATCA: enfin la fin des banques offshore ?
Quand, au G20 de Londres en 2009, les dirigeants de la planète ont proclamé la fin du secret bancaire, il fut possible de croire, un bref instant, à une vraie prise de conscience née du cataclysme financier de l'automne 2008. Enfin, se prenait-on à rêver, les milliards d'euros engloutis dans les trous noirs de la finance mondiale serviraient-ils à financer le développement des pays du sud ou le maintien de services publics de qualité au nord. Mais il fallut rapidement déchanter, tant il fut facile pour les paradis fiscaux de quitter l'infamante liste noire de l'OCDE tout en poursuivant le business as usual. Avec le recul, la fin annoncée de l'ère du secret sonne comme un échec retentissant.
Et pourtant, une législation adoptée en 2010, plutôt discrètement, par le Congrès américain, bouleverse aujourd'hui la finance internationale, au point que certains se demandent si Washington n'a pas trouvé la formule pour tuer les banques offshore.
La loi FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act) oblige toutes les institutions financières du monde à conclure avec l'Internal Revenue Service (IRS, le fisc américain) un accord prévoyant une procédure détaillée de divulgation des avoirs des contribuables américains. La grande nouveauté, c'est que les Etats-Unis ne se contentent plus de demander ces informations. Ils les exigent, avec mesures de rétorsion à la clé. Les banques et autres fonds financiers qui ne signent pas d'accord valable avec l'IRS se verront frappés d'un prélèvement de 30% sur tous leurs revenus provenant des Etats-Unis ou des autres banques participantes. Un taux prohibitif qui agite le secteur de la banque privée et de la gestion de richesse, notamment en Europe, où certaines institutions se sont fait une spécialité d'accueillir les contribuables américains en quête de discrétion. Participer ou non au programme ? Les banques hésitent. Les firmes de conseil (KPMG, Ernst&Young, Deloitte...) se frottent les mains et multiplient les séminaires pour aider leurs clients financiers à se préparer à l'entrée en vigueur (en 2013) d'une législation d'une portée nouvelle et d'une grande complexité. Autre signe de son importance: le nombre d'articles sur les sites attachés à la "liberté"des contribuables, qui dénoncent une atteinte selon eux inacceptable de l'Etat à la vie privée des Américains. Cette vidéo, postée sur Youtube, résume les arguments anti-FATCA (plus ou moins raisonnables ou carrément farfelus, comme "FATCA permettra aux terroristes d'obtenir, via des banques corrompues, l'adresse des Américains à l'étranger").
Cette agitation indique que les Etats-Unis pourraient bien avoir trouvé le remède à l'évasion fiscale de leurs contribuables. Ceux-ci n'auront sur la planète plus d'endroit où se cacher, plus de juridiction où s'abriter derrière une souveraineté factice.
Cinq grands pays européens (France, Allemagne, Italie, Royaume-Uni, Espagne) ont déjà conclu avec l'IRS un accord prévoyant la réciprocité. Ils collecteront eux-mêmes les informations auprès de leurs banques et les remettront à l'IRS - et vice versa. Une réciprocité que le gouvernement américain est prêt à généraliser, comme l'a indiqué récemment la secrétaire d'Etat adjointe aux questions fiscales Emily McMahon.
Et pourtant, une législation adoptée en 2010, plutôt discrètement, par le Congrès américain, bouleverse aujourd'hui la finance internationale, au point que certains se demandent si Washington n'a pas trouvé la formule pour tuer les banques offshore.
La loi FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act) oblige toutes les institutions financières du monde à conclure avec l'Internal Revenue Service (IRS, le fisc américain) un accord prévoyant une procédure détaillée de divulgation des avoirs des contribuables américains. La grande nouveauté, c'est que les Etats-Unis ne se contentent plus de demander ces informations. Ils les exigent, avec mesures de rétorsion à la clé. Les banques et autres fonds financiers qui ne signent pas d'accord valable avec l'IRS se verront frappés d'un prélèvement de 30% sur tous leurs revenus provenant des Etats-Unis ou des autres banques participantes. Un taux prohibitif qui agite le secteur de la banque privée et de la gestion de richesse, notamment en Europe, où certaines institutions se sont fait une spécialité d'accueillir les contribuables américains en quête de discrétion. Participer ou non au programme ? Les banques hésitent. Les firmes de conseil (KPMG, Ernst&Young, Deloitte...) se frottent les mains et multiplient les séminaires pour aider leurs clients financiers à se préparer à l'entrée en vigueur (en 2013) d'une législation d'une portée nouvelle et d'une grande complexité. Autre signe de son importance: le nombre d'articles sur les sites attachés à la "liberté"des contribuables, qui dénoncent une atteinte selon eux inacceptable de l'Etat à la vie privée des Américains. Cette vidéo, postée sur Youtube, résume les arguments anti-FATCA (plus ou moins raisonnables ou carrément farfelus, comme "FATCA permettra aux terroristes d'obtenir, via des banques corrompues, l'adresse des Américains à l'étranger").
Cette agitation indique que les Etats-Unis pourraient bien avoir trouvé le remède à l'évasion fiscale de leurs contribuables. Ceux-ci n'auront sur la planète plus d'endroit où se cacher, plus de juridiction où s'abriter derrière une souveraineté factice.
Cinq grands pays européens (France, Allemagne, Italie, Royaume-Uni, Espagne) ont déjà conclu avec l'IRS un accord prévoyant la réciprocité. Ils collecteront eux-mêmes les informations auprès de leurs banques et les remettront à l'IRS - et vice versa. Une réciprocité que le gouvernement américain est prêt à généraliser, comme l'a indiqué récemment la secrétaire d'Etat adjointe aux questions fiscales Emily McMahon.
Qu'attend le reste du monde pour emboîter le pas ? Les gouvernements qui s'abstiendront, ceux qui préféreront aligner les accords bilatéraux inefficaces ou les opérations d'amnistie, seront coupables de ne pas s'attaquer sérieusement à l'évasion fiscale.The Treasury's longer-term goal, she said, is a more comprehensive multilateral approach to information exchange. The bilateral agreements that it is now proposing to make FATCA work would be precursors to that goal.
"For that reason, we believe that FATCA, if implemented appropriately, can serve as a catalyst for further advances in the global effort to improve transparency and combat tax evasion", said McMahon. (ici)
Libellés :
Etats-Unis,
FATCA
jeudi 1 mars 2012
Rubik: Pourquoi la France a refusé de signer un accord fiscal avec la Suisse
En novembre dernier, la France a fait savoir officiellement son refus de négocier avec la Suisse un accord "Rubik" - prévoyant grosso modo le maintien du secret bancaire en échange d'un prélèvement sur les placements dans les banques suisses. La France se démarquait ainsi du Royaume-Uni et de l'Allemagne, deux pays qui ont accepté le compromis en y voyant la moins mauvaise manière de récupérer au moins une fraction des revenus placés dans les banques helvètes.
Le journaliste d'Alternatives Économiques Christian Chavagneux, spécialiste des paradis fiscaux, vient de révéler sur son blog la teneur d'un rapport du ministère français des Finances qui a motivé le refus français d'embrayer le pas.
L'argumentation développée par Bercy rejoint en tous points celle qu'ont avancée, dans la société civile, les opposants à la dernière stratégie suisse (voir ce que j'ai écrit à ce sujet ici). La première page du rapport, citée sur le blog de Christian Chavagneux, est explicite:
Ce plaidoyer de bon sens devrait être entendu dans tous les pays européens tentés d'accepter la proposition suisse. Les accords conclus avec Londres et Berlin, dont les fondations juridiques sont instables et dont la ratification est incertaine, devraient quant à eux être abandonnés purement et simplement, au profit d'une approche européenne commune qui ne transigerait plus sur le secret bancaire.
Le journaliste d'Alternatives Économiques Christian Chavagneux, spécialiste des paradis fiscaux, vient de révéler sur son blog la teneur d'un rapport du ministère français des Finances qui a motivé le refus français d'embrayer le pas.
L'argumentation développée par Bercy rejoint en tous points celle qu'ont avancée, dans la société civile, les opposants à la dernière stratégie suisse (voir ce que j'ai écrit à ce sujet ici). La première page du rapport, citée sur le blog de Christian Chavagneux, est explicite:
Un tel accord qui permettrait d’imposer les comptes détenus en Suisse tout en maintenant le principe du secret bancaire (I), procurerait une rentrée budgétaire aléatoire, au prix de nombreuses incertitudes liées à la faiblesse des garanties apportées et à leur insuffisante articulation avec notre système fiscal (II) ; il serait, en outre, peu compatible avec nos principes républicains et avec nos engagements, tant européens qu’internationaux (III)
Ce plaidoyer de bon sens devrait être entendu dans tous les pays européens tentés d'accepter la proposition suisse. Les accords conclus avec Londres et Berlin, dont les fondations juridiques sont instables et dont la ratification est incertaine, devraient quant à eux être abandonnés purement et simplement, au profit d'une approche européenne commune qui ne transigerait plus sur le secret bancaire.
Inscription à :
Articles (Atom)