mercredi 15 février 2012

L'accord FATCA, un embryon de multilatéralisme fiscal Europe-USA

Les Etats-Unis, contrairement à l'Europe, ont décidé de s'attaquer sérieusement à l'évasion fiscale de leurs citoyens. Ils ont lancé une offensive brutale contre les banques suisses, qui leur a permis d'engranger quelques  succès significatifs (ici et ici). Plus globalement, ils ciblent désormais toutes les banques étrangères qui aident les Américains à dissimuler leurs avoirs. La loi FATCA, adoptée en 2010, oblige toutes les institutions financières étrangères à transmettre les informations pertinentes sur les revenus des contribuables américains, sous peine de subir un prélèvement de 30% sur les paiements effectués au départ des banques participantes (détail ici). Un mécanisme ingénieux et agressif, qui a suscité les protestations du secteur financier, mais aussi des pays tiers. Pourquoi, en effet, une banque française serait-elle tenue de dévoiler au fisc US les comptes en banque d'un client américain, alors que la réciproque ne serait pas imposée aux banques américaines ? Autrement dit, pourquoi accepter l'unilatéralisme d'une grande puissance qui continue de dicter sa loi ?
Plusieurs grands pays européens ont refusé cette asymétrie. Ils ont obtenu, la semaine dernière, un accord établissant la réciprocité, mais aussi l'échange d'information au niveau des Etats. La France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie collecteront eux-mêmes les données pertinentes auprès de leurs banques et les enverront de l'autre côté de l'Atlantique. Le fisc américain en fera de même en sens inverse. Pour l'instant, les autres pays de l'UE sont exclus du processus. La Belgique aimerait être impliquée par le biais de la Commission européenne. D'autres, comme le Luxembourg et l'Autriche, montreront moins d'empressement à accepter cette atteinte à leur secret bancaire.
Bien qu'il ait été peu médiatisé, l'accord Europe-USA est de première importance dans la lutte contre l'évasion fiscale, parce qu'il se fonde sur l'échange automatique d'informations entre les administrations. Cet échange automatique est vigoureusement combattu par les paradis fiscaux et les pays de secret bancaire, qui lui préfèrent l'échange à la demande. La distinction entre les deux formes d'échange est LE point pivot de la lutte contre l'évasion fiscale. Pour obtenir une information à la demande, il est en effet nécessaire de faire part de soupçons détaillés de fraude - c'est quasiment mission impossible pour les agents du fisc. L'échange automatique permet, au contraire, de contrôler systématiquement les avoirs placés à l'étranger. Ce régime est déjà en vigueur entre 25 pays européens (UE moins Luxembourg et Autriche), dans le cadre de la directive sur la fiscalité de l'épargne.
Il est frappant d'observer les succès enregistrés par les Etats-Unis dans leur action visant à rapatrier les revenus de l'étranger, là où les Européens font preuve d'une résignation presque complice. Au lieu d'imiter Washington et d'imposer aux banques helvètes de coopérer sous peine de mesures de rétorsion, les pays européens, en ordre dispersé, négocient avec la Suisse des accords dits Rubik, qui grosso modo, garantissent le secret bancaire en échange d'un gros chèque (voir ce que j'ai écrit à ce sujet ici). On peut légitimement s'interroger sur la volonté réelle de rapatrier l'épargne évadée, à l'heure où pourtant on demande à tous les citoyens de mettre la main au portefeuille.
Si les citoyens les plus riches et les grandes entreprises parviennent encore à dissimuler leurs revenus, c'est grâce à un ensemble de règles internationales complexes et opaques qui ne permettent pas de les récupérer.  Loin d'apporter de la clarté, les multiples conventions bilatérales signées ces dernières années perpétuent ce patchwork réglementaire. Le cadre international est une passoire, et l'Union européenne n'y fait rien.
Pour assurer enfin un traitement équitable des revenus, il est nécessaire de mettre en place un véritable système multilatéral d'échange d'informations, dont l'accord FATCA pourrait être l'embryon. Un tel système devrait évidemment être fondé sur la réciprocité et n'exclure aucun Etat. A cet égard, l'action musclée des Etats-Unis, si elle peut inspirer l'Europe, ne doit pas se traduire par une approche unilatérale. Il ne saurait être question d'imposer aux petits pays de livrer des informations sans qu'ils obtiennent la réciproque.

Billet également publié sur le blog de Paul Jorion (ici)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire