Quarante ans après sa formulation initiale par James Tobin (petit rappel ici), la taxe sur les transactions financières est sortie récemment des débats théoriques pour devenir, à l'initiative de la Commission européenne en septembre dernier, une proposition législative concrète. Bien sûr, par le passé, certains pays ont mis en oeuvre, individuellement, des taxes sur les transactions ou des taxes de bourse (comme je l'ai rappelé dans un billet précédent). Mais pour la première fois, un bloc continental comptant pour une proportion significative des opérations financières, envisage de se doter de cette taxe emblématique, dont la recette estimée oscille entre quelques dizaines et quelques centaines de milliards d'euros.
La proposition, qui doit être approuvée à l'unanimité des 27 Etats membres à moins de faire l'objet d'une coopération renforcée entre certains d'entre eux, suscite un débat féroce entre ses partisans et ses opposants. Au coeur des discussions, un point retient plus particulièrement l'attention: l'impact estimé sur la croissance économique.
Dans une Europe qui peine à s'extraire du marasme de la dette, la croissance est en effet, plus que jamais, le mantra des gouvernements, toutes familles politiques confondues. Il faut "croître hors de la crise de la dette" (ici). Pas question d'accepter une mesure qui mettrait en péril la croissance et les emplois.
Le chiffre de l'impact estimé sur le PIB prend donc une signification politique particulière. La Commission européenne elle-même a donné du grain à moudre à ses opposants en estimant, dans une première étude d'impact, que la TTF pèserait sur le PIB à hauteur de 0,53%. Le chiffre est cité systématiquement pour conclure à l'hérésie d'une telle taxe en période de crise économique, au grand dam de la Commission, qui a entrepris de revoir ses calculs en fonction de nouveaux paramètres. Selon certaines sources, le chiffre de référence serait désormais de -0,2%, mais les services du commissaire à la fiscalité Algirdas Semeta, refusent de le rendre public.
A côté des estimations "officielles", la machine bruxelloise de lobbying s'est mise en branle et les think-tanks partisans émettent leurs propres estimations pour remporter la bataille de l'opinion. Le groupe socialiste du Parlement européen reprend ainsi à son compte une étude de Stephany Griffith-Jones (université de Columbia) et d'Avinash Persaud (Intelligence Capital), selon lesquels la croissance ne serait pas pénalisée, mais au contraire dopée d'au moins 0,25% du PIB.
Pour arriver à cette conclusion, les deux économistes prennent en considération un facteur ignoré par la Commission dans son analyse, à savoir l'impact positif découlant d'une stabilisation du système financier. En décourageant les transactions spéculatives, la taxe permettrait d'éviter les crise financières majeures, un gain estimé à lui seul à 0,35% du PIB selon un calcul quelque peu hasardeux.
Mme Griffith-Jones et M. Persaud avancent plusieurs autres arguments économiques en faveur de la TTF, comme l'effet favorable de l'assainissement des finances publiques et/ou des nouveaux investissements publics.
Aux antipodes, une étude réalisée par le bureau de consultance "indépendant" Oxera à la demande du secteur financier conclut, sur base de scénarios censés être "plus réalistes", que le PIB serait amputé de 2%.
Difficile de s'orienter dans cette profusion d'analyses, qui se basent toutes sur des hypothèses et des arguments plus ou moins crédibles, mais aussi très vagues et ouverts à la manipulation. La seule manière de connaître l'impact réel d'une TTF sur l'économie serait sans doute de la mettre en oeuvre - et même alors, il sera sans doute difficile de le calculer précisément.
Ce constat ne justifie pas l'abandon du projet. Indépendamment de l'impact négatif sur le PIB et des milliers d'emplois menacés qui seront immanquablement brandis par les opposants, il existe des arguments puissants, aussi bien économiques que moraux en faveur de la taxe (voir ici). Ils ne doivent pas être éclipsés par des calculs réducteurs.
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