mercredi 11 janvier 2012

Taxe sur les transactions financières: quelques rappels utiles

Il n'échappe à personne que Nicolas Sarkozy est un improbable candidat au titre de héraut de la taxe sur les transactions financières. Il y a une dizaine d'année, il la considérait encore comme une "absurdité", comme en témoigne cette vidéo sortie des archives par Attac.


Qu'à cela ne tienne, le président français la défend désormais bec et ongles, dans les instances internationales et, surtout, devant les caméras de télévision. Après avoir tenté en vain de la faire approuver par les pays du G20, il se propose de la faire adopter rien qu'en France. "Ma conviction, c'est que si nous ne montrons pas l'exemple, ça ne se fera pas", lance-t-il désormais, apparemment sans plus s'inquiéter des risques de déplacement des activités financiaires qu'il évoquait en 1999.
Ces risques ont-ils disparu entre-temps ? Probablement pas. Ce qui a changé, bien sûr, c'est que la crise financière est passée par là, plongeant les finances publiques dans le rouge et ternissant la réputation des banquiers. Il n'est dès lors plus rare de voir des politciens de droite, autrefois ennemis de la taxe Tobin, embrasser celle qu'on connait désormais sous l'acronyme de TTF. Le libéral belge Didier Reynders en est un autre exemple: après avoir combattu l'adoption d'une taxe Tobin dans son propre pays, il s'est en fait, une petite décennie plus tard, le défenseur sur la scène internationale.
Loin de moi l'idée de critiquer les dirigeants qui sont prêts, désormais, à taxer les transactions financières dans la seule zone euro, ou dans leur seul pays. Face à l'opposition farouche des Etats-Unis, des pays d'Asie et du Royaume-Uni, l'adoption d'une taxe mondiale et même d'une taxe limitée à l'Union européenne semble en effet impossible à court-terme.
Pour autant, la question des effets concrets d'une TTF dans une seule région ou un seul pays n'a pas disparu. Je voudrais tenter des les évoquer dans ce post, au delà des inexactitudes parfois véhiculées dans le débat public et de la communication électoraliste.
Tout d'abord, il n'est pas inutile de rappeler que plusieurs pays européens ont déjà mis en oeuvre des formes limitées de taxation des transactions financières. La Belgique, Chypre, la Finlande, la Grèce, l'Irlande, l'Italie, la Roumanie, la Pologne et le Royame-Uni s'en sont déjà dotées. Piquant: la France avait elle aussi une taxe de bourse depuis la fin du 19e siècle, mais elle a été abrogée en 2008 par la majorité de Nicolas Sarkozy (voir cet article de Slate). Lors du dernier exercice, elle a rapporté environ 250 millions d'euros au Trésor.
On note aussi la présence curieuse, dans la liste des pays où les transactions financières sont déjà taxées, du Royaume-Uni, farouche opposant de la version européenne de cette taxe. Il existe dans le pays un stamp duty, s'appliquant aux ventes d'actions et d'autres titres, qui a rapporté plus de quatre milliards d'euros lors de l'exercice 2008/2009 (la différence avec la France s'explique notamment par la taille de la place financière de Londres).
En Belgique également, il existe une taxe sur les opérations de bourse (TOB), qui s'applique aux ventes d'actions, d'obligations et de certains produits dérivés conclues en Belgique par un intermédiaire belge (les brokers étrangers ne sont donc pas concernés, pas plus que les transactions conclues par les banques pour leur compte propre, ni les fonds de pension). La TOB a rapporté 140 millions d'euros en 2011. Le gouvernement, qui vient d'en relever le taux, table sur une augmentation de 36% des recettes en 2012, mais la Cour des comptes juge surestimée cette hausse attendue (voir ce rapport).
Dans ce contexte général, la proposition de TTF européenne s'apparente davantage à une harmonisation qu'à une nouveauté complète. Les Etats seraient tenus d'aligner l'assiette de leurs taxes nationales sur celle définie au niveau européen (très large dans la proposition de la Commission, qui inclut actions, obligations et produits dérivés), et d'appliquer le taux minimum (la Commission propose 0,1% pour les actions et 0,01% pour les produits dérivés).
Les arguments plaidant en faveur d'une taxe financière sont bien connus - et écrasants. Pour rappel, et pour ne citer que ceux-là:
  1. elle permettrait de récupérer auprès du secteur financier une fraction de l'argent que les pouvoirs publics ont investi pour le sauver - la bagatelle de 4,6 billions d'euros (oui, 4.600.000.000.000 euros). En fonction de différents paramètres et hypothèses, la Commission européenne estime les recettes potentielles entre 16,4 et 433,9 milliards d'euros par an pour toute l'UE. Plusieurs pistes sont évoquées pour l'affectation de la recette (le budget des Etats ou de l'UE, la lutte contre le réchauffement, la coopération au développement...)
  2. elle constituerait aussi une compensation pour l'exonération de TVA dont le secteur financier bénéficie, un cadeau fiscal méconnu, estimé à 0,15% du PIB.  
  3. elle pénaliserait le trading à haute fréquence hautement spéculatif, qui représente aujourd'hui une moitié des échanges, et dont le seul ressort est l'appat du gain.


L'argument principal des détracteurs de la taxe porte sur le risque de déplacement des activités financières hors d'Europe. A l'heure d'internet, il est en effet facile d'imaginer que les opérations seront relocalisées sur des marchés non taxés. L'exemple de la Suède, qui a dû abroger à la va-vite sa propre taxe dans les années 1990, est souvent cité.
Mais ce contre-argument doit être nuancé. Telle que proposée, la taxe s'imposera au lieu d'établissement de l'opérateur financier. Donc, à moins de se délocaliser physiquement ou de passer par un paradis fiscal, il ne sera pas si facile pour les banques et autres fonds d'investissement d'éviter la TTF.
Celle-ci sera en outre d'autant plus efficace que son champ d'application géographique sera large. Une taxe mondiale semble exclue à l'heure actuelle, de même qu'une taxe dans l'Union européenne tant que les conservateurs seront au pouvoir au Royaume-Uni. A défaut, une taxe limitée à la zone euro semble un objectif réaliste. Ceux qui croient à cette option, et qui y voient une première étape, sont de plus en plus nombreux.


LIENS UTILES
Le résumé de l'étude d'impact de la Commission européenne
Un document de la Commission exposant les différentes taxes financières existant à travers le monde

1 commentaire:

  1. Merci pour ces rappels utiles. Je viens d'apprendre que l'idée de cette taxe est venue à Tobin en...1972!
    Deux liens intéressants: une interview (claire) du co-président d'Attac: http://www.taxjustice.net/cms/front_content.php?idcatart=2&lang=1
    et un récapitualtif historique: http://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2012/article/2012/01/06/le-drole-de-destin-de-la-taxe-tobin-des-altermondialistes-aux-liberaux_1625235_1471069.html
    Cath.

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