jeudi 2 février 2012

De l'austérité et du mauvais usage de la souveraineté

Lundi 30 janvier 2012, Bruxelles. Réunis en sommet, les dirigeants européens s'apprêtent à entériner un traité de discipline budgétaire, alors que dans les rues de la ville, étrangement calmes en ce jour de grève générale, les syndicats protestent contre la même austérité. A écouter chacun des deux camps, le débat semble se résumer à une opposition entre ceux qui veulent assainir les finances publiques et ceux qui ne veulent pas couper dans des budgets essentiels. Deux points de vue tout à fait valables.
Concilier ces deux approches est tellement simple qu'il semble naïf de l'énoncer. Pour revenir à l'équilibre budgétaire, il ne faut pas tant réduire les dépenses qu'augmenter les impôts. Et non pas augmenter les impôts sur les travailleurs et classes moyennes, mais bien capter les montants énormes qui y échappent grâce à un ensemble de règles internationales héritées de trente années de libéralisation des capitaux.
La concurrence fiscale entre les Etats est au coeur des dynamiques qui ont permis à ces règles de se développer. Concurrence qui pousse les Etats à offrir aux multinationales un pont d'or en échange de la promesse de quelques emplois. Qui permet à ces multinationales de déplacer leurs revenus, en toute légalité, d'une filiale à l'autre pour réduire à presque rien leur contribution à l'impôt. Qui permet aussi aux individus les plus fortunés de faire leur shopping entre les destinations les plus exotiques et les moins imposées.
Dans ce billet, je voudrais insister sur la notion dévoyée de la souveraineté, qui est le soubassement moral de cette concurrence. Concept à géométrie variable, la souveraineté se comprend différemment en fonction des domaines de compétence.
Sur le plan budgétaire, un  nouvel ensemble de règles, déjà adoptées ou en voie d'adoption (comme rapporté ici), limitera à l'avenir considérablement la liberté des Etats européens à exercer entièrement leurs prérogatives. Ils se soumettront à une surveillance étroite de la Commission et devront limiter les déficits sous peine de sanctions. Pour les pays bénéficiant d'une aide, cet abandon de souveraineté sera presque total. La polémique autour des dernières propositions allemandes visant à prendre le contrôle du budget grec illustre jusqu'à quel point l'indépendance des pays est désormais remise en question.
Mais s'il est permis d'ordonner à un pays de faire des économies, il n'est par contre toujours pas question de remettre en cause la souveraineté des Etats qui les empêchent de collecter des revenus en se livrant à une concurrence fiscale injuste. Le cas de l'Irlande est frappant. Ce pays a bénéficié, comme le Portugal et la Grèce, d'une aide européenne de plusieurs dizaines de milliards d'euros. Mais il n'a jamais été contraint, d'abandonner son taux plancher d'imposition sur les sociétés (12,5%), qui lui permet de capter à lui seul tous les revenus européens de dizaines de multinationales (Apple, Google, Intel, Twitter, Microsoft, Facebook...). Pour défendre cette politique aussi lucrative que déloyale, le gouvernement irlandais a misé sur la fierté nationale, en présentant la politique fiscale comme le dernier bastion d'une indépendance menacée par l'Europe (voir ici). Malgré l'insistance de plusieurs pays en 2010, Dublin n'est aujourd'hui plus mis sous pression.
La problématique de la concurrence fiscale ne se limite bien sûr pas au cas de l'Irlande. Dans le cas de micro paradis fiscaux, il est évident que la notion de souveraineté est usurpée. La communauté internationale ne devrait pas le tolérer et mettre ces pseudo-Etats hors d'état de nuire. Mais même les Etats légitimes ont mis en place des régimes fiscaux favorables. La combinaison de tous ces mécanismes offre aux grandes entreprises des possibilités multiples d'éviter l'impôt. Un arrangement souvent cité est celui du "double irish" et du "dutch sandwich", impliquant à la fois l'Irlande, les Pays-Bas et un paradis fiscal (lire ici son explication sur Wikipedia et voir ce graphique interactif proposé par Bloomberg pour expliquer comment Google réduit à presque rien sa facture fiscale grâce à cette technique).
On voit donc bien que c'est un ensemble de règles qui permet l'évitement fiscal. Les mesures strictement nationales, comme la suppression des niches fiscales en France ou la lutte contre la fraude en Belgique (ici), ne suffisent pas.  C'est le cadre international qu'il faut changer, en osant mettre à plat le tabou de la souveraineté. Le doit international devrait bannir les politiques fiscales agressives. Dans l'attente d'un vrai traité mondial, l'Union européenne est l'échelon le plus approprié pour agir.
Plusieurs propositions de la Commission sont sur la table, notamment
  • pour l'impôt des sociétés: une harmonisation de l'assiette (CCCTB), préalable à une harmonisation des taux.
  • pour l'épargne: une révision d'une directive sur les placements des Européens "évadés" dans les pays à secret bancaire (Luxembourg, Autriche), ainsi que dans des pays tiers accueillants (Suisse, Andorre, Liechtenstein...) ou territoires associés (Jersey...)
Mais ces propositions sont bloquées pour la bonne raison que la conception dévoyée de la souveraineté que j'ai évoquée est inscrite au coeur même du droit européen.
Pour conclure un accord fiscal, l'unanimité des Etats membres est requise. Avec 27 pays, cela revient à garantir l'impossibilité de prendre une décision. Ici encore, la différence avec les règles qui s'appliquent en matière budgétaire est frappante: les propositions de la Commission, par exemple des sanctions pour les déficits excessifs, sont réputées adoptées sauf si une majorité qualifiée d'Etats s'y oppose.
Bref, le cadre légal européen permet de couper quasi automatiquement dans les dépenses, mais rend presque impossible de lever des revenus ailleurs que sur le travail et les classes moyennes. Le modifier, malgré les fortes réticences des pays qui en bénéficient, devrait être la priorité des dirigeants.


Billet également publié sur le blog de Paul Jorion (ici)


2 commentaires:

  1. Personnellement, je pense qu'aucun Etat n'est maintenant totalement souverain. Tous sont interdépendants et cela consiste en une concession de la souveraineté.

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  2. Revente LMNP
    Personnellement, je suis complétement d'accord avec vanessa!

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