Les Etats-Unis, contrairement à l'Europe, ont décidé de s'attaquer sérieusement à l'évasion fiscale de leurs citoyens. Ils ont lancé une offensive brutale contre les banques suisses, qui leur a permis d'engranger quelques succès significatifs (ici et ici). Plus globalement, ils ciblent désormais toutes les banques étrangères qui aident les Américains à dissimuler leurs avoirs. La loi FATCA, adoptée en 2010, oblige toutes les institutions financières étrangères à transmettre les informations pertinentes sur les revenus des contribuables américains, sous peine de subir un prélèvement de 30% sur les paiements effectués au départ des banques participantes (détail ici). Un mécanisme ingénieux et agressif, qui a suscité les protestations du secteur financier, mais aussi des pays tiers. Pourquoi, en effet, une banque française serait-elle tenue de dévoiler au fisc US les comptes en banque d'un client américain, alors que la réciproque ne serait pas imposée aux banques américaines ? Autrement dit, pourquoi accepter l'unilatéralisme d'une grande puissance qui continue de dicter sa loi ?
Plusieurs grands pays européens ont refusé cette asymétrie. Ils ont obtenu, la semaine dernière, un accord établissant la réciprocité, mais aussi l'échange d'information au niveau des Etats. La France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie collecteront eux-mêmes les données pertinentes auprès de leurs banques et les enverront de l'autre côté de l'Atlantique. Le fisc américain en fera de même en sens inverse. Pour l'instant, les autres pays de l'UE sont exclus du processus. La Belgique aimerait être impliquée par le biais de la Commission européenne. D'autres, comme le Luxembourg et l'Autriche, montreront moins d'empressement à accepter cette atteinte à leur secret bancaire.
Bien qu'il ait été peu médiatisé, l'accord Europe-USA est de première importance dans la lutte contre l'évasion fiscale, parce qu'il se fonde sur l'échange automatique d'informations entre les administrations. Cet échange automatique est vigoureusement combattu par les paradis fiscaux et les pays de secret bancaire, qui lui préfèrent l'échange à la demande. La distinction entre les deux formes d'échange est LE point pivot de la lutte contre l'évasion fiscale. Pour obtenir une information à la demande, il est en effet nécessaire de faire part de soupçons détaillés de fraude - c'est quasiment mission impossible pour les agents du fisc. L'échange automatique permet, au contraire, de contrôler systématiquement les avoirs placés à l'étranger. Ce régime est déjà en vigueur entre 25 pays européens (UE moins Luxembourg et Autriche), dans le cadre de la directive sur la fiscalité de l'épargne.
Il est frappant d'observer les succès enregistrés par les Etats-Unis dans leur action visant à rapatrier les revenus de l'étranger, là où les Européens font preuve d'une résignation presque complice. Au lieu d'imiter Washington et d'imposer aux banques helvètes de coopérer sous peine de mesures de rétorsion, les pays européens, en ordre dispersé, négocient avec la Suisse des accords dits Rubik, qui grosso modo, garantissent le secret bancaire en échange d'un gros chèque (voir ce que j'ai écrit à ce sujet ici). On peut légitimement s'interroger sur la volonté réelle de rapatrier l'épargne évadée, à l'heure où pourtant on demande à tous les citoyens de mettre la main au portefeuille.
Si les citoyens les plus riches et les grandes entreprises parviennent encore à dissimuler leurs revenus, c'est grâce à un ensemble de règles internationales complexes et opaques qui ne permettent pas de les récupérer. Loin d'apporter de la clarté, les multiples conventions bilatérales signées ces dernières années perpétuent ce patchwork réglementaire. Le cadre international est une passoire, et l'Union européenne n'y fait rien.
Pour assurer enfin un traitement équitable des revenus, il est nécessaire de mettre en place un véritable système multilatéral d'échange d'informations, dont l'accord FATCA pourrait être l'embryon. Un tel système devrait évidemment être fondé sur la réciprocité et n'exclure aucun Etat. A cet égard, l'action musclée des Etats-Unis, si elle peut inspirer l'Europe, ne doit pas se traduire par une approche unilatérale. Il ne saurait être question d'imposer aux petits pays de livrer des informations sans qu'ils obtiennent la réciproque.
Billet également publié sur le blog de Paul Jorion (ici)
mercredi 15 février 2012
mardi 7 février 2012
Taxe sur les transactions financières: la guerre des chiffres
Quarante ans après sa formulation initiale par James Tobin (petit rappel ici), la taxe sur les transactions financières est sortie récemment des débats théoriques pour devenir, à l'initiative de la Commission européenne en septembre dernier, une proposition législative concrète. Bien sûr, par le passé, certains pays ont mis en oeuvre, individuellement, des taxes sur les transactions ou des taxes de bourse (comme je l'ai rappelé dans un billet précédent). Mais pour la première fois, un bloc continental comptant pour une proportion significative des opérations financières, envisage de se doter de cette taxe emblématique, dont la recette estimée oscille entre quelques dizaines et quelques centaines de milliards d'euros.
La proposition, qui doit être approuvée à l'unanimité des 27 Etats membres à moins de faire l'objet d'une coopération renforcée entre certains d'entre eux, suscite un débat féroce entre ses partisans et ses opposants. Au coeur des discussions, un point retient plus particulièrement l'attention: l'impact estimé sur la croissance économique.
Dans une Europe qui peine à s'extraire du marasme de la dette, la croissance est en effet, plus que jamais, le mantra des gouvernements, toutes familles politiques confondues. Il faut "croître hors de la crise de la dette" (ici). Pas question d'accepter une mesure qui mettrait en péril la croissance et les emplois.
Le chiffre de l'impact estimé sur le PIB prend donc une signification politique particulière. La Commission européenne elle-même a donné du grain à moudre à ses opposants en estimant, dans une première étude d'impact, que la TTF pèserait sur le PIB à hauteur de 0,53%. Le chiffre est cité systématiquement pour conclure à l'hérésie d'une telle taxe en période de crise économique, au grand dam de la Commission, qui a entrepris de revoir ses calculs en fonction de nouveaux paramètres. Selon certaines sources, le chiffre de référence serait désormais de -0,2%, mais les services du commissaire à la fiscalité Algirdas Semeta, refusent de le rendre public.
A côté des estimations "officielles", la machine bruxelloise de lobbying s'est mise en branle et les think-tanks partisans émettent leurs propres estimations pour remporter la bataille de l'opinion. Le groupe socialiste du Parlement européen reprend ainsi à son compte une étude de Stephany Griffith-Jones (université de Columbia) et d'Avinash Persaud (Intelligence Capital), selon lesquels la croissance ne serait pas pénalisée, mais au contraire dopée d'au moins 0,25% du PIB.
Pour arriver à cette conclusion, les deux économistes prennent en considération un facteur ignoré par la Commission dans son analyse, à savoir l'impact positif découlant d'une stabilisation du système financier. En décourageant les transactions spéculatives, la taxe permettrait d'éviter les crise financières majeures, un gain estimé à lui seul à 0,35% du PIB selon un calcul quelque peu hasardeux.
Mme Griffith-Jones et M. Persaud avancent plusieurs autres arguments économiques en faveur de la TTF, comme l'effet favorable de l'assainissement des finances publiques et/ou des nouveaux investissements publics.
Aux antipodes, une étude réalisée par le bureau de consultance "indépendant" Oxera à la demande du secteur financier conclut, sur base de scénarios censés être "plus réalistes", que le PIB serait amputé de 2%.
Difficile de s'orienter dans cette profusion d'analyses, qui se basent toutes sur des hypothèses et des arguments plus ou moins crédibles, mais aussi très vagues et ouverts à la manipulation. La seule manière de connaître l'impact réel d'une TTF sur l'économie serait sans doute de la mettre en oeuvre - et même alors, il sera sans doute difficile de le calculer précisément.
Ce constat ne justifie pas l'abandon du projet. Indépendamment de l'impact négatif sur le PIB et des milliers d'emplois menacés qui seront immanquablement brandis par les opposants, il existe des arguments puissants, aussi bien économiques que moraux en faveur de la taxe (voir ici). Ils ne doivent pas être éclipsés par des calculs réducteurs.
La proposition, qui doit être approuvée à l'unanimité des 27 Etats membres à moins de faire l'objet d'une coopération renforcée entre certains d'entre eux, suscite un débat féroce entre ses partisans et ses opposants. Au coeur des discussions, un point retient plus particulièrement l'attention: l'impact estimé sur la croissance économique.
Dans une Europe qui peine à s'extraire du marasme de la dette, la croissance est en effet, plus que jamais, le mantra des gouvernements, toutes familles politiques confondues. Il faut "croître hors de la crise de la dette" (ici). Pas question d'accepter une mesure qui mettrait en péril la croissance et les emplois.
Le chiffre de l'impact estimé sur le PIB prend donc une signification politique particulière. La Commission européenne elle-même a donné du grain à moudre à ses opposants en estimant, dans une première étude d'impact, que la TTF pèserait sur le PIB à hauteur de 0,53%. Le chiffre est cité systématiquement pour conclure à l'hérésie d'une telle taxe en période de crise économique, au grand dam de la Commission, qui a entrepris de revoir ses calculs en fonction de nouveaux paramètres. Selon certaines sources, le chiffre de référence serait désormais de -0,2%, mais les services du commissaire à la fiscalité Algirdas Semeta, refusent de le rendre public.
A côté des estimations "officielles", la machine bruxelloise de lobbying s'est mise en branle et les think-tanks partisans émettent leurs propres estimations pour remporter la bataille de l'opinion. Le groupe socialiste du Parlement européen reprend ainsi à son compte une étude de Stephany Griffith-Jones (université de Columbia) et d'Avinash Persaud (Intelligence Capital), selon lesquels la croissance ne serait pas pénalisée, mais au contraire dopée d'au moins 0,25% du PIB.
Pour arriver à cette conclusion, les deux économistes prennent en considération un facteur ignoré par la Commission dans son analyse, à savoir l'impact positif découlant d'une stabilisation du système financier. En décourageant les transactions spéculatives, la taxe permettrait d'éviter les crise financières majeures, un gain estimé à lui seul à 0,35% du PIB selon un calcul quelque peu hasardeux.
Mme Griffith-Jones et M. Persaud avancent plusieurs autres arguments économiques en faveur de la TTF, comme l'effet favorable de l'assainissement des finances publiques et/ou des nouveaux investissements publics.
Aux antipodes, une étude réalisée par le bureau de consultance "indépendant" Oxera à la demande du secteur financier conclut, sur base de scénarios censés être "plus réalistes", que le PIB serait amputé de 2%.
Difficile de s'orienter dans cette profusion d'analyses, qui se basent toutes sur des hypothèses et des arguments plus ou moins crédibles, mais aussi très vagues et ouverts à la manipulation. La seule manière de connaître l'impact réel d'une TTF sur l'économie serait sans doute de la mettre en oeuvre - et même alors, il sera sans doute difficile de le calculer précisément.
Ce constat ne justifie pas l'abandon du projet. Indépendamment de l'impact négatif sur le PIB et des milliers d'emplois menacés qui seront immanquablement brandis par les opposants, il existe des arguments puissants, aussi bien économiques que moraux en faveur de la taxe (voir ici). Ils ne doivent pas être éclipsés par des calculs réducteurs.
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jeudi 2 février 2012
De l'austérité et du mauvais usage de la souveraineté
Lundi 30 janvier 2012, Bruxelles. Réunis en sommet, les dirigeants européens s'apprêtent à entériner un traité de discipline budgétaire, alors que dans les rues de la ville, étrangement calmes en ce jour de grève générale, les syndicats protestent contre la même austérité. A écouter chacun des deux camps, le débat semble se résumer à une opposition entre ceux qui veulent assainir les finances publiques et ceux qui ne veulent pas couper dans des budgets essentiels. Deux points de vue tout à fait valables.
Concilier ces deux approches est tellement simple qu'il semble naïf de l'énoncer. Pour revenir à l'équilibre budgétaire, il ne faut pas tant réduire les dépenses qu'augmenter les impôts. Et non pas augmenter les impôts sur les travailleurs et classes moyennes, mais bien capter les montants énormes qui y échappent grâce à un ensemble de règles internationales héritées de trente années de libéralisation des capitaux.
La concurrence fiscale entre les Etats est au coeur des dynamiques qui ont permis à ces règles de se développer. Concurrence qui pousse les Etats à offrir aux multinationales un pont d'or en échange de la promesse de quelques emplois. Qui permet à ces multinationales de déplacer leurs revenus, en toute légalité, d'une filiale à l'autre pour réduire à presque rien leur contribution à l'impôt. Qui permet aussi aux individus les plus fortunés de faire leur shopping entre les destinations les plus exotiques et les moins imposées.
Dans ce billet, je voudrais insister sur la notion dévoyée de la souveraineté, qui est le soubassement moral de cette concurrence. Concept à géométrie variable, la souveraineté se comprend différemment en fonction des domaines de compétence.
Sur le plan budgétaire, un nouvel ensemble de règles, déjà adoptées ou en voie d'adoption (comme rapporté ici), limitera à l'avenir considérablement la liberté des Etats européens à exercer entièrement leurs prérogatives. Ils se soumettront à une surveillance étroite de la Commission et devront limiter les déficits sous peine de sanctions. Pour les pays bénéficiant d'une aide, cet abandon de souveraineté sera presque total. La polémique autour des dernières propositions allemandes visant à prendre le contrôle du budget grec illustre jusqu'à quel point l'indépendance des pays est désormais remise en question.
Mais s'il est permis d'ordonner à un pays de faire des économies, il n'est par contre toujours pas question de remettre en cause la souveraineté des Etats qui les empêchent de collecter des revenus en se livrant à une concurrence fiscale injuste. Le cas de l'Irlande est frappant. Ce pays a bénéficié, comme le Portugal et la Grèce, d'une aide européenne de plusieurs dizaines de milliards d'euros. Mais il n'a jamais été contraint, d'abandonner son taux plancher d'imposition sur les sociétés (12,5%), qui lui permet de capter à lui seul tous les revenus européens de dizaines de multinationales (Apple, Google, Intel, Twitter, Microsoft, Facebook...). Pour défendre cette politique aussi lucrative que déloyale, le gouvernement irlandais a misé sur la fierté nationale, en présentant la politique fiscale comme le dernier bastion d'une indépendance menacée par l'Europe (voir ici). Malgré l'insistance de plusieurs pays en 2010, Dublin n'est aujourd'hui plus mis sous pression.
La problématique de la concurrence fiscale ne se limite bien sûr pas au cas de l'Irlande. Dans le cas de micro paradis fiscaux, il est évident que la notion de souveraineté est usurpée. La communauté internationale ne devrait pas le tolérer et mettre ces pseudo-Etats hors d'état de nuire. Mais même les Etats légitimes ont mis en place des régimes fiscaux favorables. La combinaison de tous ces mécanismes offre aux grandes entreprises des possibilités multiples d'éviter l'impôt. Un arrangement souvent cité est celui du "double irish" et du "dutch sandwich", impliquant à la fois l'Irlande, les Pays-Bas et un paradis fiscal (lire ici son explication sur Wikipedia et voir ce graphique interactif proposé par Bloomberg pour expliquer comment Google réduit à presque rien sa facture fiscale grâce à cette technique).
On voit donc bien que c'est un ensemble de règles qui permet l'évitement fiscal. Les mesures strictement nationales, comme la suppression des niches fiscales en France ou la lutte contre la fraude en Belgique (ici), ne suffisent pas. C'est le cadre international qu'il faut changer, en osant mettre à plat le tabou de la souveraineté. Le doit international devrait bannir les politiques fiscales agressives. Dans l'attente d'un vrai traité mondial, l'Union européenne est l'échelon le plus approprié pour agir.
Plusieurs propositions de la Commission sont sur la table, notamment
Pour conclure un accord fiscal, l'unanimité des Etats membres est requise. Avec 27 pays, cela revient à garantir l'impossibilité de prendre une décision. Ici encore, la différence avec les règles qui s'appliquent en matière budgétaire est frappante: les propositions de la Commission, par exemple des sanctions pour les déficits excessifs, sont réputées adoptées sauf si une majorité qualifiée d'Etats s'y oppose.
Bref, le cadre légal européen permet de couper quasi automatiquement dans les dépenses, mais rend presque impossible de lever des revenus ailleurs que sur le travail et les classes moyennes. Le modifier, malgré les fortes réticences des pays qui en bénéficient, devrait être la priorité des dirigeants.
Billet également publié sur le blog de Paul Jorion (ici)
Concilier ces deux approches est tellement simple qu'il semble naïf de l'énoncer. Pour revenir à l'équilibre budgétaire, il ne faut pas tant réduire les dépenses qu'augmenter les impôts. Et non pas augmenter les impôts sur les travailleurs et classes moyennes, mais bien capter les montants énormes qui y échappent grâce à un ensemble de règles internationales héritées de trente années de libéralisation des capitaux.
La concurrence fiscale entre les Etats est au coeur des dynamiques qui ont permis à ces règles de se développer. Concurrence qui pousse les Etats à offrir aux multinationales un pont d'or en échange de la promesse de quelques emplois. Qui permet à ces multinationales de déplacer leurs revenus, en toute légalité, d'une filiale à l'autre pour réduire à presque rien leur contribution à l'impôt. Qui permet aussi aux individus les plus fortunés de faire leur shopping entre les destinations les plus exotiques et les moins imposées.
Dans ce billet, je voudrais insister sur la notion dévoyée de la souveraineté, qui est le soubassement moral de cette concurrence. Concept à géométrie variable, la souveraineté se comprend différemment en fonction des domaines de compétence.
Sur le plan budgétaire, un nouvel ensemble de règles, déjà adoptées ou en voie d'adoption (comme rapporté ici), limitera à l'avenir considérablement la liberté des Etats européens à exercer entièrement leurs prérogatives. Ils se soumettront à une surveillance étroite de la Commission et devront limiter les déficits sous peine de sanctions. Pour les pays bénéficiant d'une aide, cet abandon de souveraineté sera presque total. La polémique autour des dernières propositions allemandes visant à prendre le contrôle du budget grec illustre jusqu'à quel point l'indépendance des pays est désormais remise en question.
Mais s'il est permis d'ordonner à un pays de faire des économies, il n'est par contre toujours pas question de remettre en cause la souveraineté des Etats qui les empêchent de collecter des revenus en se livrant à une concurrence fiscale injuste. Le cas de l'Irlande est frappant. Ce pays a bénéficié, comme le Portugal et la Grèce, d'une aide européenne de plusieurs dizaines de milliards d'euros. Mais il n'a jamais été contraint, d'abandonner son taux plancher d'imposition sur les sociétés (12,5%), qui lui permet de capter à lui seul tous les revenus européens de dizaines de multinationales (Apple, Google, Intel, Twitter, Microsoft, Facebook...). Pour défendre cette politique aussi lucrative que déloyale, le gouvernement irlandais a misé sur la fierté nationale, en présentant la politique fiscale comme le dernier bastion d'une indépendance menacée par l'Europe (voir ici). Malgré l'insistance de plusieurs pays en 2010, Dublin n'est aujourd'hui plus mis sous pression.
La problématique de la concurrence fiscale ne se limite bien sûr pas au cas de l'Irlande. Dans le cas de micro paradis fiscaux, il est évident que la notion de souveraineté est usurpée. La communauté internationale ne devrait pas le tolérer et mettre ces pseudo-Etats hors d'état de nuire. Mais même les Etats légitimes ont mis en place des régimes fiscaux favorables. La combinaison de tous ces mécanismes offre aux grandes entreprises des possibilités multiples d'éviter l'impôt. Un arrangement souvent cité est celui du "double irish" et du "dutch sandwich", impliquant à la fois l'Irlande, les Pays-Bas et un paradis fiscal (lire ici son explication sur Wikipedia et voir ce graphique interactif proposé par Bloomberg pour expliquer comment Google réduit à presque rien sa facture fiscale grâce à cette technique).
On voit donc bien que c'est un ensemble de règles qui permet l'évitement fiscal. Les mesures strictement nationales, comme la suppression des niches fiscales en France ou la lutte contre la fraude en Belgique (ici), ne suffisent pas. C'est le cadre international qu'il faut changer, en osant mettre à plat le tabou de la souveraineté. Le doit international devrait bannir les politiques fiscales agressives. Dans l'attente d'un vrai traité mondial, l'Union européenne est l'échelon le plus approprié pour agir.
Plusieurs propositions de la Commission sont sur la table, notamment
- pour l'impôt des sociétés: une harmonisation de l'assiette (CCCTB), préalable à une harmonisation des taux.
- pour l'épargne: une révision d'une directive sur les placements des Européens "évadés" dans les pays à secret bancaire (Luxembourg, Autriche), ainsi que dans des pays tiers accueillants (Suisse, Andorre, Liechtenstein...) ou territoires associés (Jersey...)
Pour conclure un accord fiscal, l'unanimité des Etats membres est requise. Avec 27 pays, cela revient à garantir l'impossibilité de prendre une décision. Ici encore, la différence avec les règles qui s'appliquent en matière budgétaire est frappante: les propositions de la Commission, par exemple des sanctions pour les déficits excessifs, sont réputées adoptées sauf si une majorité qualifiée d'Etats s'y oppose.
Bref, le cadre légal européen permet de couper quasi automatiquement dans les dépenses, mais rend presque impossible de lever des revenus ailleurs que sur le travail et les classes moyennes. Le modifier, malgré les fortes réticences des pays qui en bénéficient, devrait être la priorité des dirigeants.
Billet également publié sur le blog de Paul Jorion (ici)
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