Une tendance marquante de la législature européenne qui s'achève aura été le maniement de la (petite) carotte et du (gros) bâton pour faire respecter l'orthodoxie économique. Le vocable de "gouvernance économique" cache une réalité légale faite de sanctions contre les pays déviants.
A ceux qui en douteraient, on rappellera les nombreuses procédures adoptées depuis que les marchés financiers ont menacé de faire éclater l'euro:
- le six-pack (2010) prévoit des amendes de 0,2% du PIB pour les pays n'obtempérant pas aux injonctions sur le déficit, la dette ou la compétitivité
- le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) oblige les Etats à limiter leur déficit structurel à 0,5% du PIB, sous peine de poursuites devant le Cour de Justice de l'Union. Celle-ci serait saisie par un autre Etat membre (ambiance...) ou par la Commission
- à partir de l'an prochain, les aides régionales pourront être suspendues dans les pays qui ne respectent pas la discipline européenne
Cette liste non-exhaustive (voir aussi le two-pack ou la conditionnalité imposée par la troïka aux pays sous assistance) est appelé à s'élargir encore. Dernière idée en vogue: des contrats - dites "arrangements contractuels" - entre l'Europe et ses Etats membres.
Poussé dans le dos par la chancelière Angela Merkel, le président du Conseil européen Herman Van Rompuy veut amener les gouvernements à s'engager dans la voie des réformes économiques en échange d'une incitation financière. L'idée est d'encourager l'appropriation ("ownership") dans les Etats: ceux-ci choisiraient deux priorités dans la liste de recommandations de la Commission européenne. Les pays seraient donc co-propriétaires, en quelque sorte.
Tous ces processus européens convergent dans la direction indiquée par l'Allemagne: interdire les déficits et restaurer la compétitivité. Ils font jouer à la Commission un rôle de police de l'orthodoxie économique. Un rôle que, du reste, le commissaire Olli Rehn ne rechigne pas à endosser. Le Finlandais - qu'on dit candidat à la présidence de la prochaine Commission - fait savoir qu'il compte bien se servir des nouveaux instruments de sanction.
Au passage, c'est l'Europe dans son ensemble qui semble se vêtir en père fouettard. Déjà pas très populaire, la Commission ne risque pas de regagner ainsi la sympathie des citoyens. Tout ça à l'heure où les partis europhobes caracolent un peu partout sur le continent...
Qu'on ne me comprenne pas mal: je suis convaincu que l'Europe doit être un espace de droit, où les règles communes sont respectées. Mais pour cela, il faudrait que les règles soient perçues comme légitimes.
Or, l'orientation des débats européens ces dernières années, où l'Allemagne a exercé une domination sans contre-poids en raison de circonstances économiques particulières, n'invite pas au sentiment d'appropriation. Le sens d'ownership ne se décrète pas. Pas plus qu'on ne peut l'encourager en offrant un bonbon aux élèves disciplinés. Seul le débat démocratique peut rendre les populations maîtres de leur destin.
L'Europe de la discipline voulue par Angela Merkel ne sera jamais celle des citoyens. Parce qu'elle se fonde sur une morale de responsabilité dans laquelle beaucoup d'entre eux ne se reconnaîtront jamais. Une fable de la cigale et de la fourmi où les Grecs sont seuls responsables de leur déroute. N'ont-ils pas vécu au-dessus de leurs moyens pendant toutes ces années ? N'ont-ils pas falsifiés leurs comptes pour le dissimuler ? L'Allemagne ne reconnait que le discours qui fait d'elle un modèle de vertu et de rigueur. Elle s'obstine à ne pas reconnaître que ses excédents sont la conséquence automatique de déficits dans autres pays - même si l'adoption prévue d'un salaire minimum constitue un début d'aveu.
La rhétorique allemande rejoint parfaitement la pensée dominante dans les institutions européennes. On imagine, dans les cénacles bruxellois, que les procédures européennes remédient aux manquements nationaux. Il est de bon ton à Bruxelles de critiquer ces assemblées trop nationales, de s'ébahir quand les populations se montrent rétives. Le mode d'organisation démocratique privilégié semble être une forme non-avouée de despotisme éclairé. Une République des experts qui ne se remet jamais en question, même quand ceux-ci se trompent.
Les prochaines élections européennes seront un test pour cette stratégie un peu trop autoritaire. La lecture des sondages invite à penser qu'il y aura bientôt un chahut monstre dans la classe européenne.
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