lundi 22 avril 2013

Une autre banque est-elle possible ?

Début des années 1980: la Belgique donne au monde la new beat, un nouveau son dont l'influence sera féconde pour la musique électronique, encore balbutiante à l'époque. Un petit quart de siècle plus tard, ce petit pays est-il sur le point d'imprimer un nouveau rythme, cette fois dans le domaine bancaire ? C'est l'ambition de NewB, un projet de banque coopérative dont le démarrage à 150 bpm a surpris tout le monde, et en premier lieu ses initiateurs. En deux jours, plus de 10.000 personnes ont acquis une part à 20 euros. Le compteur ne cesse de tourner et s'approche désormais des 40.000 coopérants.
En plus d'une participation aux (éventuels) bénéfices et d'un (futur) compte à leur nom, ils auront un vote sur les décisions stratégiques (une personne = une voix). A lire les messages laissés sur le site, ce sont surtout les valeurs de NewB qui ont séduit. Simplicité, transparence, sobriété résonnent positivement après cinq années où il fut surtout question de produits dérivés complexes, de paradis fiscaux et de bonus. Avec ce projet, une autre banque ne semble plus seulement possible, elle est à portée de main. Mais NewB sera-t-elle à la hauteur des espoirs qui sont placés en elle ?

Beaucoup de questions, quelques réponses

Dans le secteur financier, certains rêvent en secret de voir NewB se casser la figure, histoire de prouver que gérer une banque, ce n'est pas si facile. Comptes, site internet sécurisé, moyens de paiement, prêts hypothécaires, crédits aux entreprises, gestion financière complexe... "laissez-cela aux vrais pros", semblent penser les banquiers.
De facto, la nouvelle banque aura des questions épineuses à résoudre pour concilier tous ses objectifs, parfois contradictoires (capitalisation de grande qualité, investissements éthiques, service à la clientèle, profit modéré). Prêtera-t-elle aux petites et moyennes entreprises, là où les banques commerciales rechignent devant le risque et les frais de gestion ? Accordera-t-elle des crédits à long terme aux hôpitaux ? Offrira-t-elle sur ses comptes des taux suffisamment attractifs pour convaincre un public plus large que les enthousiastes initiaux ? Saura-t-elle convaincre les fonds de pension et autres investisseurs institutionnels de placer leurs billes dans le capital ? Comment rémunérera-t-elle ses collaborateurs et ses dirigeants ? Quelle concurrence mènera-t-elle aux autres institutions financières "éthiques", comme Triodos ?
Notons au passage que la banque néerlandaise a appris à ses dépens ce week-end qu'aucun faux pas n'est désormais plus toléré en matière de réputation financière: un article de Marianne faisant état de fonds logés dans des centres offshore a dû être rapidement remis en contexte. NewB saura-t-elle éviter ce genre d'écueils ?
Pour l'instant, beaucoup de questions sont encore sans réponse. Une première étude de faisabilité entamée il y a deux ans (avec le soutien financier des Régions) est en train d'être revue, à la lumière du succès de l'appel aux coopérants. Une première assemblée générale, le 6 juillet, permettra d'y voir plus clair.
Une fois définies les grandes priorités, NewB devra sollicter une licence bancaire auprès de la Banque nationale et commencer à recruter ses collaborateurs. Les rémunérations seront "convenables", sans être excessives, explique Bernard Bayot, l'initiateur du projet. "La campagne a aussi eu un succès auprès des employés du secteur, y compris pour les hautes fonctions", précise le possible futur CEO, qui a déjà reçu les candidatures de personnes "prêtes à changer d'institution, quitte à avoir une rémunération légèrement inférieure". Il faut dire que les banquiers n'ont plus trop le moral, entre les articles de presse assassins et la haine que leur voue une partie de la population. Si certains souhaitent l'échec de NewB, d'autres au contraire voudraient la rejoindre, même en gagnant moins...


Niveau capitalisation, NewB ne se contentera pas de respecter les exigences minimales - ces exigences que les banques commerciales jugent trop élevées. "Nous avons l'ambition d'aller au-delà", affirme Bernard Bayot.
Il a de bonnes raisons d'être confiant. Plusieurs études ont démontré la force du modèle bancaire coopératif. Si elles sont moins profitables que les banques commerciales, les coopératives présentent une plus grande stabilité de revenus et sont moins sujettes à la volatilité (voir le résumé de la littérature académique dans le fameux rapport Liikanen, page 58). C'est d'ailleurs très clair: depuis 2008, les banques coopératives résistent bien mieux que les autres à la crise (voir cette étude réalisée par la fédération européenne du secteur et cette publication du Bureau international du travail).
Les banques coopératives sont d'ailleurs loin d'être marginales en Europe. Aux Pays-Bas, la seule Rabobank pèse 39% des dépôts. En France, le Crédit agricole se taille 23,4% du marché, devant le Crédit mutuel, à 14,8% (voir ce tableau récapitulatif).
Le statut de coopérative en tant que tel n'est d'ailleurs pas une garantie de pratiques éthiques. Si on en croit les données reprises sur le site "les 7 péchés capitaux des banques" de l'eurodéputé belge Philippe Lamberts, le Crédit Agricole présente un bilan plus que mitigé. Voir ci dessous en image et en chiffres.






Aux Pays-Bas, Rabobank a des pratiques globalement bonnes, tandis que Triodos présente un résultat immaculé.



Comment se positionnera NewB dans ce classement ? Encore une question pour l'instant sans réponse. Mais il y a de bonnes raisons de penser que la banque réussira son pari... En tout cas, moi, j'ai envie d'y croire - et je suis devenu coopérant.

4 commentaires:

  1. Jedisçajedisrien6 mai 2013 à 07:12

    Donc, si je comprends bien, NewB va:

    - Avoir des fonds propres en quantité;
    - Offrir un taux aux épargnants dans le marché;
    - Offrir des prêts aux collectivités locales et aux petits emprunteurs à des taux compétitifs.

    Cela n'est possible qu'avec une seule condition: réduire les coûts à l'extrême (aucune agence, erxtrême flexibilité et polyvalence du personnel, moindre salaire pour tous les employés,aucun bonus,...). Souhaitable selon vous?

    Donc, soit Newb fonctionne et, vu que l'avantage comparatif séduit, les autres banques vont suivre et ce sera très (très) négatif pour l'emploi. Cela va amplifier drastiquement les conséquences du passage à la banque en ligne.

    Soit cela ne fonctionne pas et c'est regrettable vu l'engouement populaire que cela a créé.

    Et petites questions:

    - "laissez-cela aux vrais pros", semblent penser les banquiers. Vrai citation ou le "semblent" prédomine?

    - A la question: "Quelle est la différence avec Triodos, la banque durable?
    Quand Bernard Bayot affirme "D'abord, Triodos est une société anonyme et c'est une banque néerlandaise. Grande différence également, nous sommes très liés avec la société civile."
    Et dit un autre jour: "C'est précisément un des objectifs de NewB: mieux financer l'économie locale. Tous les dépôts seront utilisés à cette fin plutôt que de partir à l'étranger comme certains acteurs le font actuellement."

    Pas un peu choquant et anti-européen comme discours pour vous qui suivez l'actualité européenne? En quoi un projet hollandais est différent d'un projet flamand? Pourquoi l'argent Wallon ne devrait-il pas rester en Wallonie alors? Ce que je constate, c'est que c'est un objectif que l'argent ne parte pas à l'étranger, pas un constat lié à des contraintes opérationnelles.

    http://www.rtbf.be/info/economie/detail_placeriez-vous-votre-argent-dans-la-banque-cooperative-new-b-chat-a-midi?id=7955231
    http://www.moustique.be/actu-societe/236039/new-b-la-banque-quon-attendait

    -Soutien des régions. A partir d'un certain moment, ce sera une aide déloyale. A partir de quand?

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  2. Le modèle de développement de la banque est une vraie question. Encore une à laquelle peu de réponses ont été apportées jusqu'à présent... Ce serait un paradoxe que cette banque à vocation éthique conduise déteriorer les conditions de travail dans le secteur.
    Sur les questions:
    - c'est un sentiment venant de conversation informelles
    - je ne crois pas que l'investissement local soit anti-européen. Les frontières sont un mal nécessaire dans certains cas
    - parler d'aide déloyale, c'est presque indécent quand on voit les montants qui sont déversés dans Dexia.

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  3. jedisçajedisrien7 mai 2013 à 19:46

    Sur l'investissement local, je le comprends à 200% si ce n'est pas un choix idéologique mais un choix pragmatique. Mais il faut aller au bout de la logique: si la NVA propose que l'argent flamand reste en Flandre, c'est "un mal nécessaire" acceptable. Il faudra qu'on m'explique pour les liégeois peuvent prêter à des citoyens de Tournai mais pas ceux de Lille ou de Cologne. Sauf si c'est pour des raisons pratiques (langue, législation, raison commerciale, de marketing...).

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  4. Comme je le vois, l'investissement local qui est envisagé dans NewB s'inscrit dans un raisonnement "penser global, agir local". Face à une mondialisation qui est trop complexe pour qu'un citoyen ordinaire puisse en infléchir le cours, beaucoup de gens s'organisent dans des réseaux locaux (SEL, repair cafés, circuits courts alimentaires...) avec des objectifs de proximité, de convivialité, de contrôle, de qualité. NewB me semble appliquer cette tendance au secteur bancaire.
    Mais comme je l'écris dans mon article, il ne sera pas facile de tenir tous les objectifs. Comment concilier convivialité et l'absence d'agences ? Comment offrir des produits bancaires universels pour les publics exclus (obligation légale d'ailleurs) ?
    Sur le point précis de la localisation des investissements, je serais déçu de lire qu'ils s'arrêtent de façon arbitraire à la frontière sans une bonne raison. Mais on pourrait comprendre que la banque n'investisse pas dans un projet en Pologne parce qu'il serait plus difficile de le contrôler.
    Je ne pense pas que la logique territoriale à l'oeuvre ici soit une logique d'exclusion. Chez la N-VA, au contraire, le rapport au territoire est en opposition à l'autre, au francophone. Ces deux logiques sont très différentes.

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