mercredi 6 juin 2012

A lire absolument: "Les paradis fiscaux" de Nicholas Shaxson, ou comment le offshore a contaminé la finance mondiale

Derrière un titre évoquant un énième brûlot anticapitaliste, voici un livre que devrait lire quiconque cherche à comprendre la crise actuelle de la finance. Si vous ne devez en lire qu'un seul, choisissez celui-là.
 
Dans cette "enquête sur les ravages de la finance néolibérale", qui vient d'être traduite en français ("Treasure Islands" en VO), Nicolas Shaxson démonte méthodiquement le mythe fondateur des paradis fiscaux, selon lequel ceux-ci ne seraient qu'une poignée d'îles exotiques accueillant une portion marginale de capitaux sales . Un mythe encore généralement accepté qui nous empêche de voir que le offshore est désormais une composante majeure de la finance mondiale.
Ancien correspondant de Reuters en Afrique, révolté par la pauvreté, les inégalités et la corruption des élites qu'il y a vues, Nicholas Shaxson a mené une enquête très fouillée sur les rouages de l'évasion des capitaux, qui privent les pays du sud mais aussi du nord des ressources nécessaires pour le développement économique, l'éducation et la santé. Deux chiffres suffisent à résumer l'ampleur de l'enjeu: en 2008, les pays en développement ont perdu un montant estimé à 1.200 milliards de dollars en flux illicites; la même année, ils ont reçu environ 100 milliards de dollars d'aide au développement. Pour chaque euro d'aide versée généreusement, une dizaine d'autres sont repartis illégalement dans l'autre sens. 
L'auteur ne se contente pas de rappeler des chiffres et d'égrener des bonnes intentions: il a mené l'enquête aux îles Caïmans, aux Bahamas et à Jersey pour montrer comment les lois de ces juridictions ont été littéralement rédigées sur mesures pour des intérêts privés peu scrupuleux, qu'il s'agisse d'évasion fiscale, de dictateurs corrompus ou même de crime organisé.
Là où ce livre devient vraiment intéressant, c'est quand il montre les mécanismes par lesquels Londres, à partir des années 1950, et les Etats-Unis, quelques décennies, plus tard, sont eux-mêmes devenus des paradis fiscaux de plein droit, servis par des réseaux d'anciennes colonies ou de territoires dépendants.
Nicholas Shaxson relate nombre d'épisodes passionnants et peu connus, comme la création du marché dérégulé des eurodollars à Londres, soutenue par la banque d'Angleterre dans un souci de restaurer, par le biais de la finance, la grandeur de l'empire britannique. Ou comment l'Etat américain du Delaware s'est mué en un centre offshore au point qu'un seul immeuble y est désormais le siège de 217.000 sociétés.
Bien que très documenté, ce livre n'est en rien réservé aux experts. Il est rempli d'anecdotes amusantes ou édifiantes, qui le font lire presque que comme un roman. Surtout, il met en lumière des zones d'ombres que trop d'observateurs de la finance laissent à leur obscurité, par complicité, par ignorance ou, le plus souvent, parce qu'il est très difficile d'obtenir des informations. Une lecture d'intérêt public, à tous points de vue.

4 commentaires:

  1. L'existence de paradis fiscaux n'est pas dûe à la volonté des entreprises d'échapper à toute taxation des profits mais à la boulime de tous les gouvernements, constitués d'incompétents dépensant sans compter l'argent de la population pour des besoins bien souvent fallacieux et qui dépassent de beaucoup la capacité à produire des richesses.
    Si l'un ou l'autre paradis fiscal venait à disparaître il serait aussitôt remplacé par d'autres!

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  2. D'un autre temps, vous voulez rire ? Lisez, ensuite critiquez... mais lisez...

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  3. Le premier commentaire signé "Anonyme" est en effet une vielle rengaine, dépourvue de tout argument, mais qui n'est malheureusement pas encore d'un autre temps, puisqu’on l'entend tous les jours. C'est une des multiples variantes sur le "There is no alternative".
    Le présupposé de ce refrain lu mille fois, c'est que les gouvernements, élus quand même par le peuple un peu plus que ne peuvent l’être les conseils d'administrations, seraient « incompétents », « boulimiques » et aux service de besoins « fallacieux ».
    J'imagine qu'un besoin fallacieux (l'auteur malgré sa prétention à un registre soutenu, doit être plus amateur d'argent que d'orthographe puisqu'il écrit "due" en y ajoutant un accent circonflexe), est un besoin que n’approuvent pas les adeptes de l'évasion fiscale parce qu'ils réduit leurs profits. Fallacieux, c'est-à-dire entaché de fausseté, tout besoin qui tendrait à rendre les hommes plus heureux quand le but de toute action est de remplir les caisses.
    On parle trop peu de l'incompétence des conseils d'administration et des traders. Certaines crises passées ou actuelle de leur propre système devraient pourtant les inciter à plus de modestie. Quant à la boulimie, de quel côté se trouve-t-elle ?

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