(Précision 22 mars 2013: cette page reçoit pas mal de trafic depuis les derniers soubresauts de la crise chypriote. Je ne change rien à l'article, mais notez que j'ai publié un texte plus récent et plus complet ici)
Le dirigeant communiste d'un paradis fiscal appelle l'Union européenne à la rescousse pour refinancer ses banques en détresse. Ce n'est pas une fiction. Ce n'est que le dernier rebondissement en date d'une crise européenne qui confine désormais au rocambolesque.
Lundi soir (25 juin 2012), le président chypriote Dimitris Christophias, l'unique chef d'Etat communiste d'Europe, a officialisé l'appel de son pays aux fonds européens de sauvetage financier (ici). Derrière le côté folklorique de cette annonce, renforcé par la perspective de voir Chypre reprendre dans quelques jours la présidence tournante de l'UE (voir ce reportage), la nouvelle est passée quasiment inaperçue. Et pour cause: les quelques milliards qui seront versés, notamment pour recapitaliser la controversée Popular bank of Cyprus (ex Marfin), semblent insignifiants au regard des 100 milliards déboursés pour les banques espagnoles. Ils le sont plus encore face à la perspective terrifiante d'un éclatement de la zone euro (voir à ce sujet les prédictions apocalyptiques du Spiegel).
Et pourtant, le "sauvetage" chypriote mériterait qu'on s'arrête sur le cas de cette île de la Méditerranée à l'histoire mouvementée, qui s'est trouvé une place de choix dans la concurrence financière internationale en nouant des liens opaques avec l'ancienne puissance coloniale britannique, le Moyen Orient tout proche et la Russie culturellement voisine.
Un véritable paradis
Bien sûr, comme tout bon paradis fiscal, Chypre se défend d'en être un. Et c'est vrai que pour adhérer à l'Union européenne en 2004 (quatre ans avant d'entrer dans la zone euro), le pays a renoncé à certaines des dispositions les plus agressives de son arsenal, en abolissant un taux d’imposition spécifique aux sociétés offshore et en atténuant son secret bancaire. Plus récemment, sous pression du gouvernement russe, qui l'avait placée sur sa liste noire de paradis fiscaux, elle a accepté de fournir à Moscou, sur demande, des informations relatives aux contribuables indélicats (tous les détails ici).
Mais Chypre continue de chercher agressivement des profits aux dépens de ses voisins. Elle reste, d'abord, un pavillon de complaisance, permettant aux armateurs de contourner les règles sur la sécurité des navires et la droit du travail pour les équipages. Dans le domaine financier, elle continue de se positionner comme un centre offshore, avec une fiscalité ultra-concurrentielle et une règlementation très accommodante.
A 10%, le taux de l'impôt des sociétés est le plus bas d'Europe, plus faible encore que le taux plancher irlandais de 12,5% souvent dénoncé. Les plus values ne sont pas taxées, pas plus que les dividendes versés par le filiales chypriotes à leur maison-mère. Une large gamme de sociétés et holdings permet diverses techniques d'optimisation fiscale.
Les personnes physiques bénéficient aussi d'une fiscalité très favorable: taux très faibles, pas d'impôt sur la fortune, ni sur les successions. Il suffit de passer 183 jours au soleil pour être considéré comme un résident (ici).
En plus de ces avantages fiscaux, Chypre offre aux banques une supervision light-touch, comme le montre cette excellente enquête de Reuters sur la banque Marfin, grandement responsable des troubles financiers chypriotes.
Un point particulier mérite d'être relevé: les relations entre Chypre et le Royaume-Uni, qui conserve sur l'île deux enclaves territoriales où sont logées des bases militaires, vestiges de l'impérialisme britannique au Proche Orient. D'une part, ce caractère anglophone de Chypre ajoute à son attrait en tant que place financière; de l'autre, il lui permet de se positionner sur une niche bien particulière: celles de retraités anglais. Ceux-ci sont plusieurs dizaines de milliers à avoir établi domicile à Chypre, l'un des seuls pays du monde où ils ne paient quasiment aucune taxe sur leur pension, en vertu d'une convention bilatérale (ici).
Cette importante présence britannique a donné lieu ces derniers jours à une information surprenante: les autorités financières du Royaume-Uni seraient sur le point d'octroyer - via la création d'une filiale - une garantie sur les dépôts de 50.000 Britanniques qui auraient placé leur épargne à la Bank of Cyprus (ici). Traduction: Londres va offrir une assurance aux pensionnés, mais aussi aux fraudeurs.
Une occasion manquée
Les milliards qui seront versés à Nicosie offrent à l'Europe une occasion idéale pour contraindre le pays à revoir ses politiques déloyales. Mais tout indique que cette voie ne sera pas suivie. Les négociations qui vont s'engager porteront avant tout sur le système bancaire et sur les "déséquilibres macro-économiques", d'après ce communiqué que vient de diffuser l'Eurogroupe. Traduction: on forcera Chypre à restructurer ses banques, voire à en vendre au rabais les actifs les plus juteux, et on imposera un assainissement budgétaire et des mesures de compétitivité. Note au passage: comme la Belgique, Chypre a un système d'indexation des salaires que la Commission européenne voudrait voir disparaître (voir les recommandations adressées recemment). Mais il n'est pas question de la pousser à abandonner sa concurrence agressive. L'Irlande, il faut dire, a établi un précédent dans ce domaine. Cette autre île à la fiscalité favorable, à l'extrême opposé de l'Union européenne, a reçu 85 milliards d'euros de prêts européens en 2010, mais elle a réussi à préserver sa souveraineté fiscale. Malgré l'insistance du président français Nicolas Sarkozy, qui en avait fait une affaire personnelle, le taux de l'impôt sur les sociétés est resté inchangé. L'Irlande continue d'offrir aux multinationales une fiscalité au rabais. Chypre aussi conservera ses avantages.
Hasard du calendrier, la Commission européenne a présenté ce mercredi 27 juin une stratégie de lutte contre les pays tiers pratiquant une fiscalité agressive. Des mesures de rétorsions sont envisagées à terme. Mais plutôt que de reporter aux calendes grecques des sanctions contre les Etats tiers, l'Union européenne ferait bien d'agir maintenant et en son sein. Car il restera impossible d'anéantir les paradis fiscaux tant que des Etats membres se livreront eux-même à une concurrence déloyale.
Chypre: l'impôt favorable pour les sociétés ne sera pas négocié (ministère)
RépondreSupprimerNICOSIE CYP 28/06 (AFP) = L'impôt sur les sociétés à 10%, qui attire à
Chypre nombre d'entreprises étrangères, ne fera pas partie des éléments
qui feront l'objet de discussions avec l'UE et le FMI comme
contrepartie à leur aide financière, a affirmé jeudi le ministère des
Finances chypriote.
"Comme des craintes ont été évoquées sur un éventuel changement de
l'impôt sur les sociétés, le gouvernement tient à souligner que cela
ne fera pas partie des négociations", a indiqué le ministère dans
un communiqué.
Excellent!
RépondreSupprimerLire aussi cette interview du ministre chypriote des Finances http://www.spiegel.de/international/europe/cypriot-finance-minister-vassos-shiarly-denies-cyprus-is-a-tax-haven-a-877399.html
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