mardi 15 mai 2012

Les manoeuvres dilatoires du Luxembourg et de l'Autriche, ces paradis fiscaux européens

C'est un Ecofin comme les autres qui se tient ce mardi 15 mai 2012 à Bruxelles. Comme tous les mois, les ministres européens des Finances se réunissent autour d'un agenda politique chargé. Aujourd'hui, les nouvelles règles de capitalisation des banques (Bâle III), ainsi qu'une possible sortie grecque de l'euro agitent le landerneau - enjeux importants s'il en est. Un autre dossier, emblématique pourtant, est rapidement balayé de la table. Il a suffi d'un "nein" autrichien et luxembourgeois, à peine assorti de quelques mots d'explications.
C'était la première fois, depuis janvier, que la présidence danoise essayait d'obtenir un accord sur l'ouverture de négociations avec la Suisse sur un vaste accord anti-fraude fiscale. Mais c'est "nein". On n'en reparlera plus jusqu'à nouvel ordre.
Un petit retour en arrière et une mise en contexte s'imposent pour bien comprendre ce qui se joue. Depuis des générations, les Européens les plus fortunés disposent une large gamme d'options pour faire fructifier leurs revenus à l'étranger à l'abri des indiscrets contrôleurs fiscaux - et réduire ainsi leur contribution à la solidarité nationale. La Suisse, Monaco ou le Liechtenstein sont des paradis fiscaux bien connus. A l'intérieur même de l'Union européenne, des solutions attrayantes sont disponibles, en passant par exemple par un trust localisé dans un île anglo-normande (Jersey...) ou par une fondation autrichienne. Les solutions ne manquent pas.
Dans les années 1990, les dirigeants européens ont entrepris de refermer certaines portes béantes dans lesquelles s'engouffraient les fraudeurs. Après des années de négociations complexes entre les Etats membres, leurs territoires associés (Jersey, Ile de Man,...) et cinq pays tiers (Suisse, Liechtenstein, Andorre, Monaco et Saint-Marin), l'Europe s'est ainsi dotée d'une "directive sur la fiscalité de l'épargne" qui permet aujourd'hui, très imparfaitement, de collecter les revenus dûs à l'étranger. L'an dernier, la Suisse a ainsi reversé environ 330 millions d'euros aux pays européens. Le montant n'est pas négligeable, mais il ne représente qu'une fraction des revenus de l'épargne réellement placée dans le pays. En fait, la Suisse, comme les autres paradis fiscaux concernés, ont travaillé activement à mettre au point de stratégies pour contourner la directive. C'est le principe même l'ingéniérie fiscale: toujours conserver une longueur d'avance sur le législateur. Et pour conserver cette avance, la meilleure manière reste encore de ralentir, par tous les moyens possibles, les progrès de nouvelles réglementations. C'est exactement ce qui s'est produit ce mardi avec le blocage austro-luxembourgeois.
Les discussions portent en réalité sur une proposition de la Commission européenne, déposée en 2008 mais retardée par moultes manoeuvres, de réviser la directive. Appuyée par la majorité des Etats membres, la Commission espère que certaines nouvelles clauses permettront d'identifier les vrais bénéficiaires de revenus de l'épargne et donc de les taxer, même s'ils se cachent derrière un trust, une anstalt ou autre fiducie secrète. Mais après quatre ans, les négociations n'ont même pas encore vraiment démarré. Derrière des arguments peu convaincants, l'Autriche et le Luxembourg refusent d'octroyer un mandat à la Commission pour négocier avec les cinq pays tiers. Or, ces deux Etats membres conditionnent, dans le même temps, tout progrès intra-européen à une concurrence équitable avec lesdits pays tiers. Autant dire qu'aucune avancée n'est possible dans ces conditions. Et que l'évasion fiscale a encore de beaux jours devant elle.
Le commissaire européen à la fiscalité, Algirdas Semeta, n'a pas mâché ses mots pour condamner le blocage. "Scandaleusement injuste", a-t-il lâché, d'autant plus que "ce sont les contribuables honnêtes qui paient le prix de l'austérité" (verbatim ici).
A l'heure où tous les médias européens voient dans l'élection de François Hollande une rupture avec des années d'austérité, il serait bon de s'interroger sur le contenu des politiques à mener, derrière le slogan. L'initiative de croissance qui sera vendue au sommet européen de la semaine prochaine n'est qu'un ensemble de mesures réchauffées. Au lieu de ressasser le mantra de la croissance économique, les dirigeants de l'UE seraient bien inspirés de parler justice financière. Et à défaut de justice, ils pourraient au moins faire valoir cet argument macro-économique: l'OCDE a évalué à 5% du PIB la taille de l'évasion fiscale en Grèce. Largement de quoi combler son déficit et remédier à la plus profonde crise qu'ait connu l'euro sans recourir à un énième plan de sauvetage aux conditions draconiennes.

Billet également publié sur le blog de Paul Jorion (ici).

2 commentaires:

  1. un commentaire lu sous le post chez Jorion:

    S’il n’y avait que l’autriche ou le luxembourg…
    Un exemple de réactivité face aux évolutions législatives : conférence débat organisée par price :

    Conférence débat : Les atouts fiscaux de la Belgique pour les entreprises françaises

    Notre cabinet a le plaisir de vous convier à une conférence organisée conjointement avec PwC Belgique, le mardi 29 mai 2012 dans les locaux du Prisme, consacrée aux atouts fiscaux de la Belgique pour les sociétés françaises.
    Après une présentation des mesures fiscales votées dans la loi de finances belge de 2012, nous vous exposerons les incitations fiscales susceptibles d’intéresser les entreprises françaises présentes en Belgique ou envisageant d’y déployer des activités opérationnelles ou financières.
    Le régime de déduction des frais de financement applicable aux holdings belges sera mis en perspective compte tenu du nouveau dispositif français de limitation d’intérêts. Le système belge de déduction d’intérêts notionnels sera également abordé ainsi que d’autres mesures favorables aux activités opérationnelles.

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