mardi 5 août 2014

La libération fiscale, vaste fumisterie

En ces temps troublés où l'on commémore des passés qui semblent ressembler à nos avenirs, il est une confusion sémantique dont les médias sont particulièrement friands. J'ai nommé la journée de libération fiscale, célébrée partout dans le monde comme le "le jour où le travailleur moyen cesse de travailler pour l’État et commence à travailler pour lui-même".
En Belgique, la Libération, c'est pour demain le 6 août, ont fait savoir des instituts néolibéraux et cabinets d'audit, repris à l'unisson par les médias (voir notamment Le Soir). Ceux qui ont vécu celle de l’été 1944 apprécieront le mélange des genres.
Il n'est pas inutile de rappeler que la journée de libération fiscale est un concept véhiculé à l'origine par la droite ultra-libérale américaine, sous le nom de Tax Freedom Day. Il se dit que l'économiste Milton Friedman, grand pourfendeur de l'Etat et des politiques keynésiennes, voulait en faire la jour de la fête nationale (ici)!
Nul ne pourrait douter que le travail est trop taxé en Europe, et singulièrement en Belgique, où les travailleurs sont tout simplement les plus imposés au monde. Baisser cette fiscalité en la compensant par des taxes environnementales ou sur le capital s'impose comme une évidence.
Il n'en reste pas moins que la journée de libération fiscale est une idée fumeuse. Dans cette conception pour le moins étroite, l’État est un corps étranger qui ponctionne ses citoyens, tandis que les notions de redistribution et de service public n’existent tout simplement pas. On travaillerait pour soi une partie de l'année et pour un monstre assoiffé d'impôts le reste du temps. On oublie que les services publics fonctionnent toute l'année, et que les impôts servent aussi à atténuer les inégalités qui se sont tant creusées ces dernières décennies. On oublie de signaler que les pays qui sont "libérés" le plus tard sont aussi souvent ceux qui sont les mieux classés dans l'indice de développement humain de l'ONU.
J'ai déjà écrit ceci dans un livre consacré à la concurrence fiscale en Europe. A ce titre, j'ai été invité à débattre de la journée de libération fiscale avec Cécile Philippe de l'institut Molinari (en podcast ici, à partir de 25'00).

4 commentaires:

  1. "Baisser cette fiscalité (sur le travail) en la compensant par des taxes environnementales ou sur le capital s'impose comme une évidence". Mmmm, oui, sauf que pour baisser d'un seul petit point la taxation des salaires, vous devrez augmenter de manière dantesque les autres taxations. Toutes les études sérieuses sont d'accord là-dessus. Et puis quelle taxation ? Les carburants ne sont pas encore assez taxés alors que la taxation est déjà de 300 % (puisque pour 0,5 EUR de produits hors taxes, l'Etat taxe ce produit à 300 % pour que l'essence soit à 1.5 EUR à la pompe). Créer une usine à gaz de plus pour taxer plus les bagnoles (et puis pleurer sur la fermeture des usines de montage) avec des taxations au kilomètres (qui existent déjà : ce sont les accises : plus on roule, plus on paie) ? L'immobilier, avec le précompte immobilier qu'on connait déjà et qui m'écrase chaque année pour seulement habiter ma propre maison ? Les ignobles droits de succession qui font que je ne puis même pas laisser à mes enfants le fruit de toute une vie de travail ? Les droits d'enregistrements qui "rigidifient" les mutations professionnelles (on n'ose pas vendre sa maison pour aller plus près de son travail si on perd déjà 15 % sur la valeur de sa maison, et on préfère payer les déplacements journaliers) ? Taxer plus cher l'électricité en fonction de la consommation (et pourquoi pas la viande alors, puisque les "dégâts" écologiques sont grands avec la viande : créons des tickets de rationnement) ? De toute façon, "l'impôt sur les vaches n'est pas payé par les vaches" : ce sera au consommateur de payer, en échange d'une hypothétique baisse de taxation sur le travail.
    Célestin

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  2. Je ne nie absolument pas le coût d'un abaissement des charges sur le travail. Mais il faut savoir ce que l'on veut. Pour dissuader les comportements polluants et encourager l'embauche, ce glissement a du sens, même s'il implique des sacrifices. En Belgique, il y a de la marge sur les voitures de société, incompréhensiblement favorisées (vous en doutez ? c'est l'OCDE qui le dit, voir http://www.renta.be/fr/255), mais aussi sur l'immobilier. L'achat d'une maison est coûteux en taxe, mais la précompte mobilier reste de taille relativement modeste. Mais au fond, plus que taxer davantage, je crois qu'il faut surtout percevoir les taxes actuellement évitées par ceux qui auraient pourtant largement les moyens de s'en acquitter. C'est une évidence, mais certaines évidences gagneraient à être répétées plus souvent, pour qu'elles cessent d'être chimériques.

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  3. Curieux raisonnement que le vôtre : pour diminuer les charges sur le travail, il faut taxer plus le travail (à savoir les "avantages de toutes natures" que sont les voitures de sociétés). Enfin, bon... On pourrait dans ce cas tout aussi bien s'attaquer aux réductions d'impôts pour droits d'auteurs dont bénéficient surtout les journalistes ( éh ! joke, hein ?). Mais les données auxquelles vous vous référez pour les voitures de sociétés me semble périmées, puisqu'il y a eu un notable durcissement de la législation fiscale à ce sujet. Pour les immeubles, je ne puis pas être d'accord : le précompte immobilier est extêmement lourd et seuls ceux qui habitent une maison déjà existante en 1980 (date des fixations du Rev. Cad. sur base de 1975) et non modifiée depuis, sont épargnés de ce point de vue. Mais en ce qui concerne l'évitement des taxes, oui, mais le risque est que les Etats usent et abusent alors de leur pouvoir de taxation si plus personne n'a d'échappatoire. Comme en Belgique dans les années 1980, où les taux étaient démentiels parce que déjà, aller au Luxembourg était toute une expédition. Alors aujourd'hui, avec internet... Pour moi (même si c'est malheureux à dire), le seul frein à la boulimie fiscale des Etats est la possibilité pour les contribuables d'optimiser par le biais de délocalisation. D'ailleurs, voyez le résultat en Belgique : taxation maximale des travailleurs (car non susceptible de délocalisation ou presque, mais cela change) et faible taxation des revenus délocalisables (revenus mobiliers) ou des structures optimisables (très grandes sociétés). L'immobilier est déjà très taxé, mais si l'on augmente encore la taxation de ces revenus immobiliers, on aura finalement une crise du logement, voire pire. Regardez en France où même M. Valls critique la loi (non fiscale) Duflot qui alourdit les charges sur l'immobilier : une très forte baisse de croissance dans l'immobilier s'ensuit. Ce n'est pas recommandable.
    Célestin

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  4. Je crois que nous sommes définitivement irréconciliables. Il y a eu un alourdissement de la fiscalité des voitures de sociétés, c'est vrai, mais il est contourné dans tous les sens. Il faut cesser de subsidier la voiture de société, indépendamment même du débat fiscal. Bruxelles est l'une des villes plus congestionnées d'Europe, ça n'a aucun sens de continuer comme ça. Et puis, les travailleurs devraient être libres de choisir l'avantage qu'ils reçoivent. Pourquoi sous forme d'une voiture, et pas dans le salaire net ?
    Sur l'optimisation fiscale, c'est évidemment pas... optimal d'un point de vue collectif: les honnêtes paient parce que les autres fraudent, évident ou "optimisent". On ne peut pas souhaiter un tel système.
    Ce problème ne peut être réglé qu'au niveau européen. Ce champ politique européen doit être investi d'urgence. C'est ce que je répète sur ce blog et dans mon livre, en espérant que cette idée simple sorte de l'anonymat dans lequel les politiciens croient bon de l'y laisser.

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