BEPS pour "Base Erosion and Profit Shifting" : c'est le petit nom d'une initiative internationale qui pourrait bien faire bouger les lignes sur la fiscalité des grandes entreprises. Préparée depuis plus d'un an par l'OCDE, ce "club de pays riches" qui est aussi le principal forum de création des règles économiques internationales, le projet n'a pour l'instant pas trouvé beaucoup d'échos dans les médias. Tout à leur fièvre royaliste, les journaux belges n'ont pas écrit une ligne sur le sujet ce week-end, alors que les grands axes viennent d'être dévoilés. Le seul BEPS dont les annales garderont la trace sera ce Brevet Européen de Premier Secours obtenu par 10 habitants de Wasseiges.
Le débat qui s'est ouvert est pourtant de ceux dont on ne devrait pas faire l'économie. Depuis des années, les taux d'impôts riquiquis que se ménagent les multinationales à coup d'ingéniérie fiscale défraient la chronique. Et pour la première fois, l'OCDE travaille à un plan d'action concret pour y mettre fin. Pascal Saint-Amans, en charge du projet, se fixe un horizon de deux ans pour obtenir des résultats.
Parmi les mesures phares proposées, on retiendra:
- l'obligation pour les entreprises de dévoiler au fisc les schémas de planning fiscal agressif
- changer les règles de prix de transfert pour empêcher que les droits d'auteurs, royalties et autres "intangibles" soient placés dans les paradis fiscaux (une source énorme d'évitement de l'impôt)
- s'attaquer aux structures dites hybrides, grâce auxquelles les multinationales peuvent profiter des incohérences entre les législations des différents pays (une source énormissime d'évitement de l'impôt)
- préparer un traité multilatéral qui permettra d'amender d'un seul coup toutes ces règles sans devoir attendre trois décennies que les conventions bilatérales soient amendées un à une.
Un timing et un programme plutôt ambitieux, donc, d'autant plus qu'il est soutenu par tous les pays du G20...
Mais on retiendra surtout que l'OCDE s'obstine à rejeter un régime en lequel tous les partisans d'un système fiscal plus juste voient LA solution: la taxation unitaire des multinationales. Aujourd'hui, ces sociétés, bien qu'elles aient souvent un centre de décision ultime, sont considérées du point de vue fiscal comme une multitude d'entités. Le tout dans un flou artistique très propices aux astuces les plus tordues. En basculant dans un système unitaire, les multinationales seraient considérées comme une seule entité, dont l'impôt total serait alloué entre les pays en fonction de critères objectifs (emploi, ventes,...). L'OCDE n'ose pas s'aventurer sur cette voie: elle craint de s'enliser dans les blocages techniques et surtout politiques. Les pays comme l'Irlande ou les Pays-Bas, qui se font une spécialité d'encourager l'évitement fiscal des grosses entreprises, ne manqueront pas en effet d'utiliser tous les leviers pour freiner le processus.
Mais voilà bien une piètre excuse en réalité. Pour peser face à des entreprises dont le chiffre d'affaire dépasse le PIB des Etats (mais dont la contribution à l'impôt est ridiculement petite), la communauté internationale ne doit pas seulement être ambitieuse. Elle doit l'être beaucoup. Sinon, tout simplement, elle ne fera pas le poids. Et ses réformes seront à nouveau contournées, avec l'aide des milliers d'experts qui, à travers le monde, gagnent grassement leur vie en tirant profit des moindres failles des règles internationales.
Lire aussi l'éditorial du Financial Times sur le sujet, ainsi que l'analyse du Tax Justice Network
lundi 22 juillet 2013
jeudi 11 juillet 2013
FATCA: bombe atomique américaine et enfumage européen
En 2010, les Etats-Unis ont fait passer une législation dont le monde n'a pas immédiatement mesuré la portée. La loi FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act) allait imposer à toutes les banques de la planète de transmettre les informations nécessaires à la taxation des Américains, qu'elles soient ou non localisées dans un paradis fiscal (voir mes posts précédents ici). Peu à peu, FATCA est devenu le nom de l'arme atomique sur le front de l'échange d'informations fiscales. Les Etats-Unis semblaient avoir trouvé la parade ultime aux paradis fiscaux.
L'Europe a mis le temps à réagir. D'abord incrédules face à une loi extraterritoriale - impérialiste presque -, les gouvernements ont négocié des accords avec Washington pour encadrer un peu l'ingérence américaine, mais aussi pour assurer une certaine réciprocité.
La France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie ont donc conclu avec les Etats-Unis des accords intergouvernementaux (censés servir de modèle pour les autres Etats européens). Sur cette base, la Belgique vient d'envoyer une proposition d'accord à Washington. Elle y a joint en douce une annexe de comptes, de produits financiers et d'entités "dont on considère très peu probable qu'ils soient utilisés pour éluder l'impôt, et qui devraient dès lors être exclus du champ d'application" (ici). Comment ne pas voir dans cette liste, rédigée avec les fédérations financières Febelfin, Assuralia et BEAMA, une tentative de contourner le caractère très général de la loi US ?
Mais l'enfumage européen ne s'arrête pas là. Les ministres des Finances de l'Union parlent désormais de développer un 'FATCA européen", en utilisant l'acronyme comme un gage de leurs intentions sérieuses de mettre fin à l'évasion fiscale. Ce dont il est question concrètement, c'est d'étendre à toutes les catégories de revenus l'échange automatique d'information déjà prévu pour les intérêts de l'épargne. Un progrès très significatif, mais pourtant bien moins ambitieux que le projet américain. Les Européens ne s'échangeraient en effet ces informations qu'entre eux. Or, ce qui rend unique la loi FATCA, c'est son caractère extra-territorial: les contribuables américains ne pourront plus se cacher nulle part sur la planète. Rien de tel n'est prévu pour l'instant en Europe, où visiblement les gouvernements se montrent toujours enclins à laisser ouvertes quelques portes de sortie pour les fraudeurs.
L'Europe a mis le temps à réagir. D'abord incrédules face à une loi extraterritoriale - impérialiste presque -, les gouvernements ont négocié des accords avec Washington pour encadrer un peu l'ingérence américaine, mais aussi pour assurer une certaine réciprocité.
La France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie ont donc conclu avec les Etats-Unis des accords intergouvernementaux (censés servir de modèle pour les autres Etats européens). Sur cette base, la Belgique vient d'envoyer une proposition d'accord à Washington. Elle y a joint en douce une annexe de comptes, de produits financiers et d'entités "dont on considère très peu probable qu'ils soient utilisés pour éluder l'impôt, et qui devraient dès lors être exclus du champ d'application" (ici). Comment ne pas voir dans cette liste, rédigée avec les fédérations financières Febelfin, Assuralia et BEAMA, une tentative de contourner le caractère très général de la loi US ?
Mais l'enfumage européen ne s'arrête pas là. Les ministres des Finances de l'Union parlent désormais de développer un 'FATCA européen", en utilisant l'acronyme comme un gage de leurs intentions sérieuses de mettre fin à l'évasion fiscale. Ce dont il est question concrètement, c'est d'étendre à toutes les catégories de revenus l'échange automatique d'information déjà prévu pour les intérêts de l'épargne. Un progrès très significatif, mais pourtant bien moins ambitieux que le projet américain. Les Européens ne s'échangeraient en effet ces informations qu'entre eux. Or, ce qui rend unique la loi FATCA, c'est son caractère extra-territorial: les contribuables américains ne pourront plus se cacher nulle part sur la planète. Rien de tel n'est prévu pour l'instant en Europe, où visiblement les gouvernements se montrent toujours enclins à laisser ouvertes quelques portes de sortie pour les fraudeurs.
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