Le francophile président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, semble avoir bien incorporé le principe: "l'exception culturelle n'est pas négociable. La culture n'est pas une marchandise", répète-t-il à qui veut l'entendre. Pourquoi alors cette violente polémique des derniers jours entre Paris et Bruxelles ? Quelque chose doit s'être perdu dans la traduction, entre Costa-Gavras qui voit en Barroso "un homme dangereux pour la culture", l'intéressé qualifiant de "réactionnaires" les défenseurs de l'exception et Arnaud Montebourg concluant que le président de la Commission est "le carburant du Front National" (aah, le point Le Pen, cette version française du point Godwin).
Qu'est-ce qui se cache derrière ces amabilités, derrière la querelle sémantique ? Instinctivement, on ne peut qu'éprouver de la sympathie pour ce petit village gaulois qui résiste encore et toujours à l'envahisseur. Refuser de manger de la grosse production d'Hollywood matin, midi et soir est a priori plutôt sain pour l'esprit. Soutenir le film local, le fait-main, la qualité "made in France", cela semble tomber sous le sens.
Mais la culture est-elle à ce point exceptionnelle ? Pourquoi pas une exception gastronomique pour nous protéger des McDonalds ? Une exception agricole face aux boeufs hormonés, aux poulets chlorés et autres barbaries américaines ? Ou même, pourquoi pas, une exception industrielle, comme le suggère dans un tweet Michel Onfray (point Le Pen, bis) ?
Les gens de culture défendent le protectionnisme pour leurs boutiques. Quand les ouvriers le défendent ils sont traités de lepenistes...Car au final, la culture vaut-elle vraiment plus que les voitures, les boulons ? C'est peut-être à l'aune de cette interrogation qu'il faut comprendre le "réactionnaire" de Barroso, cet ancien maoïste (voir cette vidéo de jeunesse). L'exception culturelle serait réactionnaire au sens de la révolution culturelle ? A méditer...
— Michel ONFRAY (@michelonfray) June 27, 2013
En matière de négociations avec les Etats-Unis, il convient en tout cas de se garder, comme le conseillait Mao, de "voir les arbres et non la forêt". Car la culture n'est qu'un paramètre parmi beaucoup d'autres.
Dans le domaine agricole, à coup sûr, Washington cherchera des débouchés pour des produits fabriqués dans des conditions qui rebutent la plupart des Européens. Le chapitre sur l'investissement pose d'autres questions essentielles: il est envisagé de favoriser les possibilités d'arbitrages privés, vous savez du genre qui a conduit l'Etat français à verser plus de 400 millions d'euros à Bernard Tapie dans des conditions douteuses. Derrière cette affaire très médiatique, le "boom de l'arbitrage" alimenté par des cabinets juridiques coûterait des milliards de dollars aux contribuables, selon un rapport publié récemment par deux ONG.
Ces problèmes et d'autres doivent être soulevés, quand bien même la culture resterait une exception. Et derrière eux, une question doit être posée: jusqu'où l'Europe est-elle prête à aller pour relancer sa croissance moribonde ? Quels principes, quelles exceptions sommes-nous prêts à échanger contre des emplois ?