mardi 23 décembre 2014

L'harmonisation fiscale pour les nuls

L'harmonisation fiscale européenne serait-elle de retour ? Depuis des années, on nous assure qu'il serait complètement irréaliste d'aligner l'impôt entre pays européens. La règle de l'unanimité, nous expliquait-on, rend impossible de trouver un accord sur une question aussi sensible. Mais les Luxembourg Leaks ont remis la question à l'ordre du jour.



Critiqué pour son rôle quand il était Premier ministre du Luxembourg, Jean-Claude Juncker, assure désormais que "l'harmonisation fiscale est une nécessité absolue", et une priorité de son mandat à la tête de la Commission européenne. Ne dit-on pas que les braconniers font les meilleurs garde-chasse ? Les prochaines années permettront de le vérifier.
Mais de quoi parle-t-on, en fait ? Je vous propose un petit tour de la question - en mode pédagogique.

Harmoniser le taux ou l'assiette ?

Avant de commencer, tordons le cou à un malentendu: l'harmonisation dont on parle pour les sociétés, à l'heure actuelle, ce n'est pas celle des taux. L'Europe ne doit pas décider, par exemple, que tous les bénéfices seraient taxés à 25% partout sur le continent, ni même dans une fourchette de 15% à 30%. Peut-être cette question se posera-t-elle un jour, mais nous n'en sommes pas là.
Ce qu'on doit harmoniser d'abord, c'est l'assiette.
L'assiette (ou base imposable), c'est ce sur quoi porte l'impôt. Celle de la TVA, par exemple, c'est grosso modo toutes les transactions commerciales. Cette assiette TVA est harmonisée en Europe depuis longtemps. Plusieurs directives ont établi des listes de bien et services tombant dans telle ou telle catégorie de taxe sur la valeur ajoutée. A partir de ce socle commun, chaque Etat reste libre d'imposer le taux de son choix, avec toutefois un plancher de 15% pour le taux normal.
Pour l'impôt des sociétés, c'est plus compliqué. L'assiette, ici, c'est l'ensemble des règles qui permettent de calculer le bénéfice imposable d'une société. Une fois que ce bénéfice est établi, un taux est appliqué: plus de 30% en Belgique, France, Allemagne; environ 15% dans les ancien pays communistes; autour de 25% dans la zone nordique (Pays-Bas, Royaume-Uni, Scandinavie); et autour de 10% en Irlande, à Chypre et en Bulgarie.




Le taux, c'est l'élément le plus facile à comprendre, et donc on se focalise beaucoup sur lui. Mais comme je vous le disais au début, c'est l'assiette qui mérite notre attention. D'abord, pour la bonne raison que qu'il est impossible de fixer un taux commun si on n'a même pas encore déterminé sur quoi ce taux allait porter. Ça serait mettre la charrue avant les boeux.
Mais aussi parce qu'aujourd'hui, c'est avant tout en jouant sur l'assiette que les grosses entreprises parviennent à ne pas payer d'impôt. Google et consorts ne sont pas établis en Irlande parce que le taux est de 12,5%. Ces multinationales paient en réalité beaucoup moins !
Aujourd'hui, chaque Etat dispose en effet d'une multitude d'exonérations qui permettent aux entreprises de réduire fortement la base sur laquelle l'impôt sera prélevé au final. C'est le cas, par exemple, des intérêts notionnels en Belgique, grâce auxquels certaines sociétés ont pu exonérer 100% de leur bénéfice. Les LuxLeaks ont montré que dans certains montages, l'assiette de sociétés était réduite de 95% a Luxembourg. Quand peine 5% du bénéfice est taxé, le taux n'a plus tant d'importance...
Une méthode unique de calcul de l'assiette en Europe permettrait donc de limiter les possibilités d'optimisation agressive. J'y reviendrai plus loin. Avant cela, faisons un petit détour par l'histoire pour mieux comprendre les origines du système actuel.

Un petit retour aux origines

Depuis que l'impôt sur le bénéfice des sociétés a été inventé, au début du 20e siècle, il s'est développé de façon autonome dans chaque Etat. Dès le départ, des différences apparaissent dans le traitement des premières multinationales: faut-il taxer l'ensemble des bénéfices mondiaux dans le pays de siège ? Faut-il, au contraire, qu'une partie du bénéfice soit allouée à chaque pays d'activité ? Où s'établit le siège d'une société, alors qu'on voit se développer les premiers paradis fiscaux ?
Chaque Etat apportera une réponse différente, en fonction de ses intérêts. Les pays exportateurs de capital, comme le Royaume-Uni encore auréolé de sa puissance impériale, privilégieront la taxation basée sur la résidence. Autrement dit: ils voudront taxer chez eux les revenus mondiaux de "leurs" multinationales. Les autres Etats privilégieront une taxation à la source: c'est-à-dire qu'ils exigeront de pouvoir taxer eux aussi la richesse pompée sur leur territoire, sans tout laisser au pays de siège de la société.
Dès le départ, on se retrouve donc avec une prolifération chaotique de règles fiscales. Les premières à s'en plaindre, ce seront les multinationales elles-mêmes. Car si aujourd'hui elles arrivent à profiter au mieux du patchwork international, à l'époque elle subissent surtout une double taxation.
Leur lobbying précoce dictera l'agenda politique pendant des décennies: pour empêcher la double taxation de bénéfices, les Etats vont s'employer à conclure des milliers de conventions bilatérales.
On n'ira jamais plus loin en matière d'harmonisation: des tentatives isolées au sein de la Ligue des Nations (l'ancêtre des Nations Unies) dans les années 20 et 30 resteront lettre morte. Il n'y aura donc aucun cadre de référence pour les fiscalité internationale. Seul existe, jusqu'à aujourd'hui, un mic-mac de traités bilatéraux.
Faute d'unification, les Etats restent donc des petits îlots de souveraineté, alors que les opérateurs économiques sont mondialisés. Or, cette souveraineté s'avère être de plus en plus factice. En perfectionnant sans cesse leurs techniques comptables, les grosses sociétés réussissent à faire glisser leurs bénéfices d'un pays à l'autre pour réduire à pas grand chose leur facture fiscale, sans que les Etats puissent y faire grand chose.
Dans le jargon, on parle d'"érosion de la base imposable et transfert de bénéfices" (BEPS de son petit nom anglais, pour base erosion and profit shifting). Dans certains cas, on est même arrivé à un retournement complet de situation par rapport au début du 20e siècle. Il n'est plus question de double imposition, mais de "double non-imposition". Les entreprises ne sont plus taxées dans deux pays, elles ont réussi à n'être taxées dans aucun! En ce début de 21e siècle, c'est le problème sur lequel se cassent la tête les Etats et leurs experts fiscaux.

Fiction comptable

Récapitulons. Les multinationales vivent donc aujourd'hui dans une fiction comptable: un conte de fées dans lequel elles se divisent en des dizaines, centaines ou même parfois milliers d'entités (filiales, branches et autres) dans divers pays. Cet éclatement ne reflète évidemment pas la réalité. En vrai, il y a un centre de direction ultime et des bénéficiaires bien déterminés.
Les relations entre toutes ces entités sont censées être réglées harmonieusement par une règle simple: le principe de pleine concurrence. Il prévoit que les prix pratiqués entre toutes ces entités (les "prix de transfert") doivent refléter les conditions du marché. Pas question, en théorie, qu'une filiale surfacture ou offre un généreux rabais à une autre. En anglais, c'est plus visuel: on dit que les entités doivent être bien distinctes, comme indépendantes, maintenues à distance de bras (at arm's length). En jargon, on parle donc du arm's length principle - dites ALP.
Mais qu'on parle de bras ou de pleine concurrence, c'est seulement de la théorie. Dans la réalité, ces prix de transfert sont très éloignés des vraies conditions de marché. Ils sont d'autant plus faciles à manipuler que nous vivons dans une économie complexe, financiarisée et dématérialisée. Quel est le juste prix à appliquer à l'utilisation de la marque McDonald's ? Quelles est la valeur réelle d'un swap sur taux d'intérêt ? Combien coûtent réellement les services rendus par l'administration centrale d'une entreprise au bénéfice des filiales ? Il y a une large marge d'appréciation, et les multinationales en profitent à plein pot. Leur méthode est toujours la même: baisser le bénéfice dans les pays lourdement taxés, le déplacer dans les pays faiblement taxés, ou mieux, dans un paradis fiscal comme les Bermudes. La recette est désormais bien connue. Les LuxLeaks n'ont fait que confirmer une fois pour toute ce que tout le monde sait depuis longtemps.
Jusque récemment, les Etats se souciaient peu de cette situation. Un peu par souci de compétitivité, un peu parce qu'aucun politicien ne s'intéressait à ces questions complexes, beaucoup de petits pays ne se sont même jamais dotés de règles basiques pour éviter que les prix de transfert soient grossièrement manipulés. La Belgique a longtemps traîné. L'Irlande et le Luxembourg ne le font que maintenant. Leur négligence a coûté des dizaines de milliards d'euros à leurs trésors publics.

Les solutions

Depuis la crise financière, heureusement, l'heure n'est plus à la négligence. Si pendant quelques années, après 2008, on a pu penser que rien ne changerait, il existe aujourd'hui un vrai climat de réforme fiscale internationale. Et réforme, il y aura. La question est de savoir si elle ira assez loin.
On ne vous rien dit dans les médias (pour la bonne raison que beaucoup de journalistes n'y comprennent rien) mais deux approches sont en présence. Il faut bien les distinguer.
D'un côté, nous avons l'OCDE, incarnée ici par son directeur pour la fiscalité, Pascal Saint-Amans. Cette organisation consultative, parfois qualifiée de club de pays riches, était doucement en train de tomber en désuétude, quand elle a réussi à se refaire une réputation sur la question fiscale. Autrefois surtout soucieuse de libéraliser à tour de bras, l'OCDE a saisi l'esprit du temps: elle est désormais la championne de la réforme fiscale internationale.


Pascal Saint-Amans ne ménage pas ses efforts. Régulièrement invité par les dirigeants du G20 à faire le point sur ses travaux, il porte un programme de réformes en quinze points, dont certaines ne sont absolument pas cosmétiques. Il a déjà réussi, par exemple, à faire supprimer une des formes les plus usitées de montage fiscal agressif, les hybrides (voir ici). Il travaille aussi à un grand traité multilatéral qui s'imposerait aux traités bilatéraux (voir ici).
Ce sont d'indéniables progrès, mais sont-ils suffisants ? On peut craindre que non. L'action de l'OCDE risque même de détourner l'attention de l'autre approche envisagée pour rendre plus juste la fiscalité internationale: l'harmonisation de l'assiette de l'impôt des sociétés.

L'ACCIS, acronyme compliqué, solution simple

Nous revoilà donc face à l'harmonisation fiscale, dont je vous parlais au début de ce billet. En Europe, elle est connue sous l'acronyme barbare d'ACCIS, pour Assiette commune consolidée pour l'impôt des sociétés. En anglais, on dira Common consolidated corporate tax base, ou CCCTB. A vos souhaits.
Le principe, en réalité, est simple. Plutôt que d'accepter la fiction selon laquelle les multinationales seraient morcelées en de nombreuses entités, on admettrait enfin qu'elles sont une seule et même organisation. Leur bénéfice, du coup, serait comptabilisé pour toute l'Union avec une seule et même méthode de calcul. On pourrait encore, si on veut, décider de permettre la déduction des activités de recherche et développement, mais de façon uniforme. Plus question de mesure octroyée en douce par un gouvernement pour favoriser la délocalisation d'une entreprise.
Ce bénéfice unique serait ensuite réparti entre les différents pays selon des critères objectifs: les ventes, le personnel et ce qu'on appelle des immobilisations (par exemple la valeur des immeubles). Plus question de déplacer le bénéfice selon des artifices comptables. Cette répartition simple entre pays est connue sous le doux nom de formula apportionment.
Chaque Etat, enfin, serait libre d'appliquer le taux de son choix sur sa part du gâteau. Il resterait donc une marge pour la concurrence fiscale. Cette concurrence deviendrait seulement plus transparente.
L'ACCIS n'a rien de neuf. La Commission européenne y travaille depuis plus de dix ans. Elle a même déposé une proposition législative formelle en 2011. Pourquoi alors, me direz-vous, n'applique-t-on pas déjà cette solution miracle ?
L'une des réponses est que les Etats ne veulent pas abandonner leur souveraineté fiscale. C'est particulièrement le cas de l'Irlande, où toute la classe politique est vent debout contre l'ACCIS. En Belgique, personne n'en parle. Le pays aime se profiler comme un pro-harmonisation européenne, mais la réalité est beaucoup plus nuancée. La fédération des entreprises FEB milite contre le projet. Le nouveau ministre des Finances, Johan Van Overtveldt veut "y aller avec prudence en matière d'harmonisation fiscale". "Nous faisons partie de l'union monétaire et nous disposons par conséquent d'un arsenal politique limité lorsqu'il s'agit de réagir à un choc économique", a insisté à la Chambre le ministre N-VA. Dès lors, "il est peut-être indiqué de ne pas abandonner trop facilement, et de ne pas perdre un instrument de politique économique qualifié par d'aucuns de politique de niches".
Ce n'est donc pas gagné, d'autant plus que règne en Europe la fameuse règle de l'unanimité. Chacun des 28 Etats membres doit marquer son accord à une réforme fiscale.
Malgré les difficultés, ce projet ACCIS mériterait un peu d'attention dans le débat public. Si on veut cesser de s'indigner chaque fois qu'une multinationale échappe à l'impôt, on serait bien inspiré de bâtir un système solide qui permette une taxation efficace, transparente et juste. La volonté affichée par Jean-Claude Juncker de relancer l'harmonisation est donc la bienvenue. Faut-il y voir juste une manière de faire baisser la pression après l'affaire des LuxLeaks ? Ou deviendra-t-il réellement un braconnier repenti ? L'avenir le dira. Mais il est certain que la justice fiscale ne progressera que si l'opinion publique reste mobilisée.

J'espère, avec ce billet, vous avoir aidé à mieux comprendre un enjeu auquel trop peu de gens s'intéressent de par sa complexité. (N'hésitez pas à pointer tout manque de clarté dans le texte, je m'efforcerai d'y remédier).


Pour aller plus loin:
Le livre International Business Taxation, de Sol Picciotto, accessible librement, est une référence absolue. Bien que technique, daté (1992) et en anglais, il est, à ma connaissance, la meilleure source pour ceux qui veulent comprendre l'histoire de l'impôt des sociétés.

lundi 8 décembre 2014

"Only in Belgium": comment la Belgique fait sa promotion de pays "low tax" auprès des investisseurs

La presse flamande relaie lundi cette brochure en ligne de promotion de la Belgique comme un pays fiscalement avantageux pour les investisseurs étrangers. Parmi les avantages mis en avant: le service de rulings, avec ses "business minded tax professionals", dont les décisions, est-il précisé, lient les inspecteurs des impôts. 



En réalité, l'administration fiscale peut contester des décisions anticipées sous certaines conditions, comme l'a montré l'inspection spéciale des impôts (ISI) en ouvrant une enquête sur un montage fiscal d'Inbev. La disposition générale anti-abus, adoptée sous le précédent gouvernement, donne des armes au fisc pour combattre les montages abusifs des multinationales. Mais chut! Mieux vaut ne pas le dire aux investisseurs !
Avant que cela ne se sache, le gouvernement Michel a d'ailleurs mis sur les rails des travaux législatifs pour recadrer la loi anti-abus. La coalition suédoise veut aussi renforcer l'indépendance du service de ruling et de ses "business minded professionals" face à des inspecteurs de l'ISI par trop tatillons...

mardi 2 décembre 2014

"Dumping fiscal" au Luxembourg

J'étais invité la semaine dernière par la Gréng Stëftung à présenter mon livre sur le dumping fiscal au Luxembourg. Quelques mois après sa sortie, il y bénéficie d'un regain d'intérêt lié à l'actualité récente. Les LuxLeaks a braqué les projecteurs sur le pays au moment où il s'efforce de se débarrasser de cette collante étiquette de paradis fiscal. Il y avait donc un certain appétit à débattre de l'affaire, mais aussi à entendre parler des autres pays qui s'adonnent joyeusement à la concurrence fiscale, comme je l'ai fait dans ma présentation !


Le débat qui a suivi a tourné autour de questions passionnantes, auxquelles je n'ai pu apporter que quelques éléments de réponse: le Luxembourg vit-il sur le dos de ses voisins ? Que gagnent réellement les Luxembourgeois de la stratégie fiscale suivie par leurs gouvernements successifs ? S'ils abandonnent les niches fiscales, quelles stratégies peuvent suivre les petits pays pour ne pas devenir un simple hinterland des grands Etats ?
Ces questions ont également été évoquées dans les articles de presse qui ont rendu compte de la conférence (voir ici en français dans Le Quotidien et ici en Allemand dans le Luxemburger Wort). 
Que ces questions soient posées ouvertement marque une évolution des esprits au Grand-Duché, où les enjeux fiscaux dérangeants ont jusqu'à présent toujours été balayés sous le tapis épais du consensus national. Un débat ouvert menace sans doute la stabilité fiscale du pays, chère au secteur financier et aux investisseurs, mais il est une condition préalable à une fiscalité plus juste.
Le débat sur les LuxLeaks devrait continuer d'agiter la vie politique du pays dans les prochaines semaines. Un député du parti de gauche Dei Lenk, Justin Turpel, semble en tout cas décidé à jouer les trouble-fête. Il a adressé au gouvernement une longue liste de questions sur la pratique des rulings. Les réponses qu'apportera la majorité de Xavier Bettel ne manqueront pas d'intéresser les Luxembourgeois, mais aussi la communauté internationale.

vendredi 21 novembre 2014

Prosommateurs de tous les pays, unissez-vous !

Il ne se passe plus une semaine sans que les médias n’ouvrent leurs pages à l’économie collaborative, incarnée par AirBnb, Uber, BlaBlaCar ou KissKissBankBank. C'est que le partage sur internet n’a plus rien d’une affaire de geeks ou de couchsurfers fauchés. Ces nouveaux outils changent nos manières de voyager, de nous déplacer, de financer nos projets. AirBnb s’enorgueillit de mettre à disposition 800.000 logements à travers le monde, et compte plus de vingt millions d’usagers. Uber est devenu une alternative au taxi dans 200 villes du monde. BlaBlaCar, une société française pionnière du covoiturage, a passé en septembre le cap de dix millions de membres. Elle transporte aujourd’hui plus de passagers qu’Eurostar!
Forbes estimait, début 2013, que les acteurs de l’économie collaborative empocheraient sur l’année 3,5 milliards de dollars, en hausse de 25%. "A ce rythme", écrivait le magazine spécialisé dans la mesure de la richesse, "le partage en peer-to-peer cesse d’être un simple revenu complémentaire (...) pour devenir une vraie force économique disruptive" (ici).
A écouter ses promoteurs, cette nouvelle économie promet des lendemains qui chantent, faits de partage, d’innovation sociale et de désintermédiation. Elle permettrait de relier davantage les être humains, tout en polluant et en payant moins. "Ses stars se qualifient de gourous, d’inspirationnal thinker, de thought leader et, bien entendu, sont souvent à la tête d’au moins une start-up à succès", ironise le journaliste Jean-Laurent Cassely dans un article récent de Slate. Le célèbre prospectiviste américain Jeremy Rifkin, semble avoir pris la tête des enthousiastes. Dans son dernier essai, baptisé La nouvelle société du coût marginal zéro, il prophétise une révolution collaborative qui abolira le capitalisme, rien de moins. Celui-ci tourne grâce à des investissements massifs qui sont ensuite rémunérés avec les gains procurés par les économies d'échelle, souligne Rifkin. En permettant à chacun de devenir producteur pour un investissement proche de zéro, les nouveaux outils collaboratifs changent complètement la donne: chacun peut désormais devenir un prosommateur - contraction de producteur et consommateur. A terme, les individus reprendront donc le pouvoir sur les grandes entreprises. Car les plateformes de partage ne bouleverseront pas que l’hébergement touristique ou les transports en voiture. Le crowdfunding, en pleine croissance lui aussi, permet déjà de contourner les acteurs bancaires traditionnels. Et dans un avenir pas trop éloigné, l’énergie sera vendue de gré à gré entre producteurs individuels grâce aux réseaux intelligents, tandis que les Fab Labs et  imprimantes 3D rapatrieront la production de l’usine au domicile.
Tout cela fleure bon l’utopie. Mais après tout, pourquoi pas ? En ces temps maussades de crise économique et de perte de repères collectif, la perspective de liens directs tissés entre les individus a de quoi séduire.

La fin du capitalisme, vraiment ?

A bien y regarder, l’économie du partage est pourtant bien éloignée du JPEG d’Epinal qu’on serait enclin à partager d’un clic paresseux. Si elle révolutionne nos modes de consommation, elle ne s’accompagne pas nécessairement d’un partage des outils. Au contraire, elle voit émerger de nouvelles multinationales qui n’ont rien de coopératives. En juillet, BlaBlaCar a ainsi levé 100 millions de dollars auprès de fonds d’investissement. L’ex Covoiturage.fr affiche désormais son ambition de "developper le covoiturage urbain à l’échelle mondiale". Au passage, il a truffé son site de tarifs cachés, au point qu’un utilisateur dégoûté n’hésite pas à affirmer que le covoiturage a été "tué par la finance et l’appât du gain".
De l’autre côté de l’Atlantique, les deux géants de la share economy font aussi tourner la tête des investisseurs. En avril dernier, le fonds Texas Pacific Group a investi 450 millions de dollars dans AirBnb, désormais évaluée à plus de 10 milliards. Uber fait également partie du club prisé des valeurs à 11 chiffres, boostée par les investissements de Google et Goldman Sachs.
Nouveaux venus du capitalisme 2.0, les géants du collaboratif adoptent les méthodes de leurs aînés. A l’instar de Google, ils ont mis en place des montages qui leur permettent de réduire à peau de chagrin leur facture fiscale. La structuration internationale d’AirBnb est un modèle du genre (lire notamment ceci). Bien que basée à San Francisco, la société est légalement établie au Delaware, le paradis fiscal intra-américain. Hors-USA, tous les paiements sont acheminés vers une filiale irlandaise, très discrète sur ses bénéfices et vraisemblablement peu taxée. Même opacité du côté des trois filiales ouvertes l’an dernier à Jersey, un autre paradis fiscal notoire. Le service de presse de la firme est particulièrement laconique: "AirBnb paie ses impôts dans tous les pays où elle est établie". Le problème, c’est qu’elle n’est pas établie en Belgique, ni dans beaucoup de pays! Toute virtuelle, elle empoche donc ses commissions sans reverser un centime à l’Etat. Sans non plus accepter de dévoiler quoi que ce soit sur son chiffre d’affaires, ses bénéfices et les éventuels impôts qu’elle paierait ailleurs. Le partage, visiblement, ne s’applique pas aux bénéfices, ni à l’information.
Uber, quant à elle, a bien établi une filiale en Belgique, nécessaire sans doute vu les relations contractuelles plus poussées qui l’unissent à ses conducteurs. Cette petite société a enregistré de légères pertes en 2012 et 2013 et n’a donc payé aucun impôt non plus. Il s’agit clairement d’une coquille quasi-vide destinée à gérer la promotion et les aspects administratifs. Quelle est la taille de son activité réelle de taxi, dématéralisée par la magie du web ? Difficile de le dire, car la société cultive elle aussi le secret. Impossible d’obtenir une information sur le chiffre d’affaires que brasse la centaine de chauffeurs revendiqués à Bruxelles. Les autorités de la Capitale ne disposent d’aucun chiffre.
La route qui permet à Uber de défiscaliser les revenus tirés des activités de taxis est néanmoins plus ou moins connue des experts. Elle ressemble furieusement à celle qu'utilise son actionnaire Google. L'argent payé à travers l'application, perçu au nom des chauffeur, leur est intégralement reversé. Ce sont eux, en fait, les contribuables redevables de l'impôt dans leur pays d'activité. Mais ils ristournent ensuite une commission de 20% à Uber BV, une filiale immatriculée aux Pays-Bas. En vertu de la loi néerlandaise, très favorable aux redevances (royalties), cette filiale ne paie d'impôt que sur 7% des montants perçus, ce qui correspond à un taux d'impôt réel d'environ 2%. Les montants sont ensuite remontés vers une filiale aux Bermudes, où l'impôt sur les sociétés est inexistant, avant de regagner les Etats-Unis, au Delaware, où ces redevances bénéficient d'un taux préférentiel. 

Prolétaires 2.0

Mais plus que son opacité fiscale, c’est la concurrence déloyale de la société de taxi qui est régulièrement dénoncée. Depuis des mois, partout en Europe, les taxis officiels protestent contre ces nouveaux concurrents qui offrent des tarifs ultra-bas en omettant bien souvent de payer impôts, cotisations sociales, assurances et licence d’agrément. A Londres, en juin dernier, des milliers de black cabs ont convergé vers Trafalgar Square dans un concert de klaxons, mais Uber n’en a cure. Comme les coup d’éclat du patron de Ryanair, chaque épisode médiatique offre de la publicité gratuite à son modèle low cost et nourrit sa croissance. La firme a bénéficié en outre du soutien très vocal de l'ancienne commissaire européenne aux télécoms, Neelie Kroes. Face aux critiques, la libérale néerlandaise a multiplié les prises de position pour défendre une entreprise en laquelle elle ne voit que dynamisme et innovation. "La plupart des industries n’ont pas la chance de faire partie de cartels légalisés, comme les taxis. Elles doivent embrasser le changement ou décliner (pensez à la décennie perdue de l’industrie musicale avec l’arrivée du téléchargement)", a-t-elle argumenté dans une tribune récente. Neelie Kroes ne laisse donc subsister aucun doute sur sa vision du rôle des nouvelles plateforme: il s’agit de déréguler les professions réglementées. Et celles-ci n’auront pas le choix, car "ces apps ne vont pas disparaître", prédit la commissaire.
Cette évolution apparemment inéluctable pose une question, qui est au coeur des débats sur l’économie collaborative: "Nous dirigeons-nous vers un monde du self emploi ?" La Fondation française Fing  évoque un nouveau modèle de travailleurs émergeant depuis quelques années, les "slashers", du nom de la barre oblique (slash) séparant leur multiples activités: un gagne-pain / une passion et/ou une activité dans l’économie collaborative. Ce panachage des revenus n’aurait rien d’anecdotique: les mini-jobs et des auto-entreprises, déjà très développés aux Etats-Unis, se multiplient aussi en Europe.
Côté syndical, on refuse de cautionner une précarisation au nom des nouvelles technologies. "Ce n’est pas l’innovation qui est en jeu, contrairement à ce que prétend Neelie Kroes. Nous sommes pour l’innovation, mais avec certaines règles", affirme Frank Moreels (FGTB-UBT). Il appelle le secteur des taxis à investir pour développer ses propres outils pour smartphones.
Les pouvoirs publics bruxellois sont eux aussi déterminés à ne pas accepter un fait accompli. Le nouveau ministre des transports, Pascal Smet, a relancé les contrôles et plusieurs véhicules ont été saisis. "Il est clair qu’Uber est illégal à Bruxelles pour l’instant", dit-il.
Mais la révolte pourrait bien venir des travailleurs du collaboratifs eux-mêmes. A San Francisco, berceau de la société Uber, une trentaine chauffeurs ont spontanément débrayé le travail au printemps dernier - avec des revendications toutes traditionnelles en matière d’emploi et de salaire. "Ils gèrent un ‘sweatshop’ (usine aux conditions de travail misérables, ndlr) avec une appli. Ils n’ont même pas les c… de descendre pour nous rencontrer", a dénoncé au chauffeur à des journalistes au pied du siège de la firme.
Aucune manifestation du genre n’a encore été observée en Europe. Pour Frank Moreels, ce n’est qu’une question de temps. "Après un temps, les chauffeurs vont se rendre compte que ce n’est pas le rêve qu’ils avaient", dit-il. Plutôt qu’avec des lendemains qui chantent, l’économie du partage pourrait se réveiller avec la gueule de bois.

mercredi 19 novembre 2014

Bettel, les Luxembourgeois, les crapules et les voyous

"L'ensemble de la population luxembourgeoise est révoltée qu'on veuille faire passer les Luxembourgeois pour des crapules et pour des voyous. C'est inacceptable". Deux semaines après les LuxLeaks, le Premier ministre du Grand-Duché se pose en défenseur de l'honneur offensé de ses compatriotes. Rhétorique classique pour un dirigeant de paradis fiscal - ou assimilé. Xavier Bettel flatte le sens national des Luxembourgeois, et donne à penser qu'ils se dressent comme un seul homme contre les agressions étrangères.
Cette prétendue unanimité ne devrait tromper personne. Un micro-trottoir réalisé par la RTBF dans les rues de Luxembourg au lendemain du scandale laissait entrevoir que le ras-le-bol face aux pratiques d'optimisation fiscale agressive y était aussi vif qu'ailleurs. Et pourquoi ne le serait-il pas ? Les Luxembourgeois profitent-ils vraiment de leur place financière et des rulings pour multinationales ? Quand bien même ce serait le cas, approuvent-ils la stratégie fiscale agressive suivie par tous leurs gouvernements depuis des décennies ? Ces questions méritent d'être posées. Elles appellent des réponses nuancées.
Indubitablement, les Luxembourgeois profitent de leur situation. Selon Deloitte, la place financière contribue pour un tiers des recettes fiscales du pays. Ces rentrées permettent sans doute d'alléger un peu la fiscalité sur les personnes*. La place financière représente aussi 17% de l'emploi. Mais est-ce tant profitable que cela pour les locaux ? On peut en douter. En notant d'abord que plus de trois quarts de ces 65.000 emplois sont exercés par des étrangers. En observant aussi la volonté du gouvernement Bettel d'"attirer au Luxembourg de nouveaux contribuables" (des étrangers, donc, qui paieront moins d'impôts chez eux), tout en relevant la TVA (payée surtout par les Luxembourgeois). C'est le principe d'un paradis fiscal: offrir des avantages aux étrangers, tandis que la population locale n'en profite qu'à la marge. Certains parlent même d'une "malédiction de la finance" ("finance curse"), comparable à la maladie hollandaise frappant les pays pétroliers: une source de richesse dominante entraîne une capture du processus politique par des intérêts privés et empêche le pays de diversifier son économie...
Quel que soit le gain réel tiré par la population luxembourgeoise, approuve-t-elle les politiques fiscales qui sont menées ? Le pays est régi par des institutions démocratiques, donc on serait enclin à le penser. Mais la chose est plus nuancée. Il existe au Luxembourg une sorte de consensus national tacite sur la stratégie fiscale, que peu osent remettre en question.
S'il semble naturel que la droite libérale, dont est issu le Premier ministre Xavier Bettel, soit acquise aux arguments de la place financière, on peut se poser des questions sur les autres partis. Malgré certains accents sociaux, la démocratie-chrétienne, incarnée par l'ancien Premier ministre Jean-Claude Juncker, fut le fer de lance de la transformation de ce petit pays industriel en centre financier international lors du dernier demi-siècle. Quant à la famille socialiste, souvent au gouvernement, elle a toujours préféré fermer les yeux, détournant le regard vers d'autres domaines plus proches de ses électeurs**. Seuls les Verts (désormais au gouvernement) et le parti de gauche radicale Déi Lénk osent un tant soit peu élever la voix. Mais leurs poids électoral est trop faible pour briser le plafond de verre.
A leur invitation, je participerai la semaine prochaine à une conférence sur les Luxembourg Leaks et le ruling. Etant moi-même citoyen d'un pays qui pratique savamment le dumping fiscal -et dont le nouveau ministre des Finances veut transformer la capitale en centre financier-, je m'abstiendrai de donner de leçons. Les crapules et les voyous, ce ne sont pas les Luxembourgeois, les Belges, les Irlandais, ni les citoyens d'autres paradis fiscaux. Ceux qu'il faut critiquer sont ceux qui conçoivent les règles, en profitent ou ferment les yeux.
Les électeurs de nos pays doivent comprendre les enjeux de concurrence fiscale pour exiger des changements à leurs propres gouvernements, en préalable à une harmonisation européenne. Ce n'est qu'à ce prix qu'un système, dont tout le monde s'accorde à dire qu'il est injuste, pourra être réformé.







*Une rapide comparaison des fiscalités luxembourgeoise et belge montre que les recettes de l'impôt des sociétés pèsent 5,3% du PIB au Luxembourg (3e position européenne), mais seulement 3,1% en Belgique (5e). A contrario, l'impôt sur les personnes représente 8,6% du PIB au Luxembourg (10e), mais 12,7% en Belgique (4e). Voir ici et ici.
**Durant les recherches qui ont préparé la rédaction de mon livre sur le Dumping fiscal, j'ai questionné à ce sujet le socialiste Robert Goebbels, qui occupa divers postes ministériels entre 1984 et 1999. Voici ce qu'il m'en disait, il y a trois ans: "Il y a plus ou moins un consensus entre pratiquement tous les partis, à l'exception peut-être du seul communiste que nous avons encore au parlement, pour dire que la place financière est utile au pays, qu'elle permet des revenus et surtout une création d'emploi qu'on n'aurait pas sans elle".


Les sentiments sont partagés, mais par contre tout le monde se rejoint sur un point: l’ensemble de la population luxembourgeoise est révoltée qu’on veuille faire passer les Luxembourgeois pour des crapules et pour des voyous. Cela, c’est inacceptable.
Les sentiments sont partagés, mais par contre tout le monde se rejoint sur un point: l’ensemble de la population luxembourgeoise est révoltée qu’on veuille faire passer les Luxembourgeois pour des crapules et pour des voyous. Cela, c’est inacceptable.
Les sentiments sont partagés, mais par contre tout le monde se rejoint sur un point: l’ensemble de la population luxembourgeoise est révoltée qu’on veuille faire passer les Luxembourgeois pour des crapules et pour des voyous. Cela, c’est inacceptable.
Les sentiments sont partagés, mais par contre tout le monde se rejoint sur un point: l’ensemble de la population luxembourgeoise est révoltée qu’on veuille faire passer les Luxembourgeois pour des crapules et pour des voyous. Cela, c’est inacceptable.
Les sentiments sont partagés, mais par contre tout le monde se rejoint sur un point: l’ensemble de la population luxembourgeoise est révoltée qu’on veuille faire passer les Luxembourgeois pour des crapules et pour des voyous. Cela, c’est inacceptable.
Les sentiments sont partagés, mais par contre tout le monde se rejoint sur un point: l’ensemble de la population luxembourgeoise est révoltée qu’on veuille faire passer les Luxembourgeois pour des crapules et pour des voyous. Cela, c’est inacceptable.
Les sentiments sont partagés, mais par contre tout le monde se rejoint sur un point: l’ensemble de la population luxembourgeoise est révoltée qu’on veuille faire passer les Luxembourgeois pour des crapules et pour des voyous. Cela, c’est inacceptable.

dimanche 9 novembre 2014

Quelques réflexions sur les Luxembourg Leaks

La révélation, par un consortium de journalistes, de milliers de documents fiscaux incriminant le Luxembourg a fait l'effet d'une bombe. Mis en accusation par tous les journaux de la planète, le Grand-Duché voit réduits en cendres ses efforts pour se refaire une réputation ces dernières années.
Comme la Suisse, le Luxembourg s'était résolu à abandonner son secret bancaire (avec un révolver appelé Fatca sur la tempe, il est vrai). Bientôt, il échangera automatiquement des informations avec les pays tiers sur une large gamme de revenus financiers. Il espérait ainsi, enfin, se débarrasser de cette mauvaise réputation de paradis fiscal. Et voilà que les LuxLeaks lui pourrissent cette opération place propre!
Voilà son Premier ministre obligé de convoquer dare-dare une conférence de presse pour clamer que "les rulings sont conformes avec les lois internationales". Voici son ministre des Finances réunissant lui aussi les journalistes à Bruxelles, pour leur tenir des propos jamais entendus dans le bouche d'un financier grand-ducal. "Ce qui est légal aujourd'hui n'est peut-être plus souhaitable", a reconnu Pierre Gramegna, car "une situation où des entreprises internationales ne paient pas ou peu d'impôt est intenable, incompréhensible pour les (autres) contribuables".
Les LuxLeaks marquent donc une nouvelle étape dans la mise à mal d'un système, construit depuis quarante ans, qui a permis aux multinationales et aux familles fortunées d'éviter l'impôt. Comme les Offshore Leaks, comme les affaires Cahuzac,UBS, HSBC, ces Luxembourg Leaks attisent la colère d'une population lassée de voir se soustraire à la solidarité ceux qui devraient au contraire y participer le plus. Cette indignation est indispensable: les lecteurs de ce blog auront compris que sans elle, les réformes de justice fiscale s'enlisent dans des comités techniques, où les mauvaises habitudes reprennent vite le dessus (voir notamment ceci).

Quelques éléments de réflexion face aux arguments avancés par le Luxembourg pour sa défense:
 - "la plupart des pays européens pratiquent le ruling": c'est vrai, et il n'y a rien de mal au fond à ce que des entreprises obtiennent une clarté légale rapide sur leur situation fiscale. Le problème, c'est le caractère négocié et secret de ces décisions anticipés. J'ai consacré quelques pages de mon livre sur le dumping fiscal à cette pratique. La présidente du service belge de ruling, Véronique Tai, y confesse  l'existence d'une marge de négociation assez large entre le contribuable et l'administration sur les prix de transferts. Le Service des décisions anticipées (SDA) prend en considération des enjeux de concurrence fiscale dans ce contexte, dit-elle. Autrement dit: la crainte de voir une entreprise partir vers de meilleurs cieux fait partie de la négociation. Difficile d'imaginer que des cadeaux fiscaux ne sont pas octroyés aux entreprises.
- "Tout est légal". C'est forcément vrai au final puisqu'une administration a apposé le cachet de la légalité sur le montage proposé. Mais auparavant, les cabinets d'audit et conseillers fiscaux des multinationales auront eu l'occasion de tester des schémas plus ou moins agressifs. Une commission d'enquête britannique a permis de mettre en évidence que des montages fiscaux complexes n'ayant que 25% de chances d'être légaux étaient proposés.
- "Le Luxembourg va coopérer pleinement avec les enquêtes de la Commission européenne". Ce n'est que très partiellement vrai. Le Grand-Duché refuse toujours de transmettre aux services de la concurrence des documents qui doivent permettre d'évaluer si des aides d'Etat illégales ont été accordées via des rulings. Soucieux de garantir la discrétion à ses chers contribuables, notamment Amazon, le Luxembourg ne veut transmettre que certaines décisions spécifiques, mais pas tout le dossier. Est-il totalement insensé d'imaginer qu'il cherche à ménager le géant de la vente en ligne, qui fait travailler près de 1.000 personnes sur plusieurs sites luxembourgeois ?
Cette obstruction amène une autre question. Les rulings fuités par le consortium ICIJ pourront-ils être utilisés par la Commission européenne, voire par le fisc d'autres pays ? Ce n'est pas certain. La Commission elle-même est hésitante. Le Luxembourg qualifie quant à lui d'illégaux les documents publiés.

Soulignons un dernier point à propos des LuxLeaks: ils posent évidemment la question de la responsabilité de Jean-Claude Juncker. Premier ministre et ministre des Finances du Grand-Duché pendant près de 20 ans, il porte une grande responsabilité dans la conception du modèle fiscal Luxembourgeois, qualifié par le Tax Justice Network d'"étoile noire" des paradis fiscaux en Europe. Comme je le soulignais dans un portrait réalisé à l'occasion de son accession à la présidence de la Commission européenne,  l'homme ne s'est jamais expliqué. Dans les nombreux débats parlementaires, conférences de presse, émissions télévisées où des questions lui ont été posées, il a toujours botté en touche avec un art consommé de la noyade de poisson. Il est temps qu'il s'explique enfin. Ce n'est pourtant pas la voie qu'il semble suivre après les LuxLeaks. Celui qui avait annoncé une Commission européenne très politique a préféré envoyer son porte-parole au casse-pipe devant une meute de journalistes européens déchaînés. Il a pour sa part annulé une apparition publique à Bruxelles, lui préférant un événement plus discret en ses terres natales...

lundi 27 octobre 2014

Qui mettra fin à la guerre fiscale entre Européens ?

"Qui mettra fin à la guerre fiscale entre Européens ?" C'est le titre d'un long article que publie Basta au sujet de mon livre Dumping fiscal.
C’est une « Europe de l’optimisation fiscale » que nous décrit Éric Walravens, auteur d’une enquête sur un chantage qui ruine nos États. Du « double Irish » au « sandwich hollandais » en passant par les « intérêts notionnels » belges, le « Crédit impôt recherche » français ou les « rulings » fiscaux, ces accords secrets entre le fisc d’un État et une multinationale, Éric Walravens propose un tour d’horizon des dispositifs « attractifs » offerts par les pays européens aux grandes firmes : une véritable jungle de dérogations et de régimes d’exception, où le droit commun fiscal ne semble plus valoir que pour les « petits ». Un dumping fiscal qui mine l’Europe alors qu’une harmonisation se fait attendre depuis 30 ans.
L'interview est accessible ici.


mardi 7 octobre 2014

Pour les apparences ou pour la transparence, PwC se range au "country by country reporting".

Obliger les banques à publier, pour chaque pays d'activité, leur chiffre d'affaires et le montant des impôts payés ne risque pas d'affecter l'économie. Il ne faut pas être grand clerc pour le comprendre, mais c'est la conclusion à laquelle est parvenue le cabinet d'audit PwC, que la Commission européenne avait chargé d'enquêter sur le sujet (ici). La Commission elle-même est tenue de rendre ses conclusions sur le "country-by-country reporting"(CBCR) pour les banques, en vertu d'une directive récente.
J'avais relaté sur ce blog (ici) les critiques formulées à l'encontre de cette mission confiée à un cabinet d'audit lui-même très impliqué dans les pratiques d'optimisation fiscale. PwC avait en outre déjà formulé des arguments contre le CBCR au nom de 14 multinationales peu désireuses de voir se renforcer la transparence sur leurs contributions fiscales. Le conflit d'intérêt était évident.
Ces critiques, émises par des parlementaires et des ONG, ont-elles été entendues ? Je note en tout cas la visite récente de plusieurs employés de PwC sur mon profil Linkedin, et j'en déduis que les remarques ne sont pas passé inaperçues... Les grands cabinets d'audit apprécient peu d'être pointés du doigt.
Hasard du calendrier ou stratégie concertée, le Financial Times rapporte ce mardi des propos bien comme il faut du patron de la branche internationale de PwC, Dennis Nally. Interrogé sur la dimension morale de son activité de conseil fiscal, M. Nally confirme qu'elle doit être gardée à l'esprit. "Ce n'est pas seulement ce que les entreprises peuvent faire, c'est ce qu'elles devraient faire", note-t-il. "Les firmes de services professionnels ont un rôle à jouer pour aider les entreprises à réfléchir à ce qui est acceptable et approprié". On prend note.
Qu'il s'agisse de faire démentir les critiques ou de conclusions véritables, PwC ne semble en tout cas trouver que des avantages au CBCR, dans son rapport sur la transparence bancaire. Le rapportage par pays donnera une meilleure image de la situation des banques, facilitera la tâche des régulateurs et pourrait même amener les investisseurs vers des banques plus transparentes. C'est à ce demander pourquoi ce point a suscité tellement de résistances... Puisque celles-ci appartiennent désormais au passé, gageons que le CBCR sera étendu rapidement à tous les secteurs de l'économie.

UPDATE
Le tax Justice Network vient de publier un article de blog intéressant, qui fait le point sur les dernières évolutions du CBCR en Europe.
Il montre notamment à quoi ressemble ce rapportage pays par pays, que la France a commencé à imposer cette année (pour le chiffre d'affaire et le nombre d'employés; les impôts, subventions et bénéfices suivront en 2015). Plusieurs liens vers les rapports CBC des banques françaises sont mis à disposition, notamment celui de BNP Paribas (p. 442). Ces données limitées donnent déjà
un éclairage intéressant. On savait que la banque française, dont l'Etat belge est actionnaire de référence, est active dans les paradis fiscaux. Le rapport montre qu'elle y emploie dans certains cas pas mal de personnel (222 ETP à Jersey, 214 à Monaco), et dans d'autres pas du tout (zéro aux îles Caïmans, malgré une activité financière réelle).

dimanche 5 octobre 2014

Cadeaux fiscaux à Apple: le ver est dans la pomme






Apple pourrait devoir rembourser à Irlande des millions d'euros d'avantages fiscaux indûs (les fameux "sweetheart deals"). C'est sans doute ce que vous aurez retenu des articles de presse qui ont évoqué cette semaine la procédure initiée par la Commission européenne contre Dublin (voir le Guardian ou le Monde) . Depuis quelques mois, les informations du genre se succèdent, comme autant de signes que l'optimisation fiscale agressive pratiquée par les grandes entreprises n'est plus aussi tolérée qu'elle l'était. Une bonne nouvelle, sans doute, pour tous ceux qui voudraient que les multinationales contribuent à leur juste mesure à la collectivité. Dans le cas d'Apple, qui a planqué plus de 100 milliards de dollars offshore, un tel souhait est difficilement contestable.
Mais de quoi est-il question exactement ? Voyons ce que fait la Commission européenne - et surtout ce qu'elle ne fait pas. En fait, "Bruxelles" a décidé d'utiliser sa meilleure arme: la politique de concurrence. En la matière, elle jouit de compétences élargies, qu'elle ne se prive pas d'utiliser. Sans coup férir, elle sanctionne les cartels, interdit des fusions et impose le remboursement d'aides d'Etat. Tout le contraire de la compétence fiscale, qui reste la chasse gardée des Etats (c'est en vain que la Commission plaide, depuis les années 1960, pour une harmonisation de l'impôt des sociétés).
Dans le cas d'Apple, elle ne cible pas tant le faible taux d'impôt en tant que tel. Elle vise plutôt  le caractère sélectif de ce cadeau fiscal, qui risque de conférer à Apple un avantage sur ses concurrents. Ce biais lui donne une base légale pour agir.
Ce n'est pas la première fois que la Commission se base sur la politique de concurrence pour faire avancer des dossiers fiscaux. A la fin des années 1990, déjà, sous l'impulsion de Mario Monti, elle avait lancé des procédures contre des régimes jugés déloyaux, comme les centres de coordination belges. Après des années de bataille juridique, elle a fini par obtenir gain de cause, et les régimes ont été abolis. Une victoire à la Pyrrhus, qui n'a pas empêché les multinationales de trouver de multiples autres voies pour réduire à néant leur facture fiscale.
Le nouveau front ouvert par l'actuel commissaire à la concurrence, Joaquin Almunia -et auquel promet de combattre Margrethe Vestager qui lui succédera en novembre-  est-il voué au même sort ? C'est possible. La bataille n'en est pas pour autant insignifiante.
Son enjeu, au fond, n'est pas Apple, ni même l'Irlande, c'est la pratique du ruling, qui s'est généralisée depuis les années 1980. Initiée aux Pays-Bas, et rapidement copiée par les autres pays, elle consiste à donner aux entreprises une clarté précoce sur la légalité de leurs montages fiscaux. En Belgique, on parle de "décisions anticipées", en France de "rescrits". Ces décisions sont aujourd'hui un must pour les multinationales et leurs conseillers fiscaux. Ceux-ci ne viennent pas seulement obtenir un éclairage légal. Dans une confortable discrétion, ils peuvent en fait négocier l'impôt payé. Dans quelle mesure ? Difficile de se faire une idée, tant l'opacité règne. 
La procédure lancée par la Commission contre l'Irlande confirme clairement le caractère négocié des rulings. C'est même celui-ci qui est constitutif de l'avantage sélectif octroyé à Apple - et donc de l'infraction.
"La base taxable a été négociée, plutôt qu'étayée en référence à des transactions comparables", comme le prévoient les règles sur les prix de transfert, argumente la Commission. Un certain nombre de transactions ont été conçues spécialement pour atteindre un résultat taxable limité. La décision, accessible sur internet, mérite d'être lue.
On en parle moins, mais l'Europe n'a pas ciblé qu'Apple et l'Irlande. Une autre procédure vise un ruling luxembourgeois en faveur d'une filiale financière de Fiat. (C'est une loi médiatique tacite des années 2010: tout ce qui concerne Apple  grimpe automatiquement quelques échelons dans la hiérarchie de l'info.) La Fiat Punto est indéniablement moins sexy que l'iPhone, mais la décision visant Fiat Finance and Trade (FFT) mérite elle aussi qu'on s'y attarde.
Tout d'abord pour noter que la Commission n'est même pas certaine d'avoir identifié la bonne société! Le Luxembourg est tellement secret qu'il refuse toujours de transmettre ce genre d'informations basiques. Qu'à cela ne tienne, les services de Joaquin Almunia ont bien mené leur petite enquête. Au terme d'une analyse solide (ici, en français), en dépit du manque de données, ils parviennent à montrer que l'assiette fiscale a été calculée de manière extrêmement favorable. FFT ne paie d'impôt que sur une fraction infîme de son bénéfice...
Ces procédures européennes sont bienvenues, mais elles ne devraient pas détourner l'attention du véritable enjeu fiscal européen: celui d'une assiette commune pour l'impôt des sociétés. Tant que les Etats n'auront pas harmonisé la base de calcul de l'impôt, toutes les manipulations resteront possibles. Le débat public sur l'impôt se concentre sur les taux, mais c'est l'assiette qui est déterminante. Un signe ne trompe pas: en Belgique, les multinationales ont fait savoir qu'elles préféraient conserver le régime des intérêts notionnels (qui leur permet de réduire drastiquement leur assiette) à une réduction par deux du taux !
Plutôt que d'investir son énergie dans une nouvelle victoire à la Pyrrhus, la nouvelle Commission serait bien inspirée  de donner un nouvel élan à son projet d'ACCIS. Un tel effort requerra du courage politique, tant les opposants sont nombreux. Pierre Moscovici, nouveau commissaire à l'économie et à la fiscalité, sera-t-il à la hauteur de cet enjeu ? Les médias européens dissertent aujourd'hui sans fin sur sa gestion plus ou moins flexible des déficits. Mais c'est aussi sur le terrain de l'harmonisation fiscale qu'il pourra - ou non - imprimer sa marque.

vendredi 3 octobre 2014

Nouvelle Donne change de nom

Ce blog s'intitulera désormais "Redistributions", afin d'éviter toute confusion avec le parti Nouvelle Donne.

mardi 16 septembre 2014

"Bancocratie": la radicalité nécessaire d'Eric Toussaint

Eric Toussaint m'a demandé d'introduire la présentation de son dernier livre, "Bancocratie", ce mardi soir, à la librarie Livre aux trésors à Liège. Si vous êtes dans le coin, venez écouter et débattre du rôle des banques dans la société. C'est peut-être moins relaxant que de rester chez soi devant une série, mais ça ne sera pas ennuyeux pour un sou: sous la plume de mon homonyme par le prénom, le secteur bancaire se met carrément à ressembler à "Breaking Bad"!


La première fois que j'ai parlé à Eric Toussaint, c'était en 2011 au plus fort de la crise des dettes souveraines. Je me souviens distinctement de cette période où l'Europe était à la croisée des chemins, pour ne pas dire au bord de l'abyme. Alors que les ministres des Finances et banquiers centraux s'affairaient à éviter à tout prix un défaut de paiement de la Grèce et d'autres pays fragilisés, Eric Toussaint plaidait, lui, pour l'annulation d'une partie des dettes publiques européennes (comme il l'expliquait dans cette interview à La Libre Belgique). Il y avait là un changement de paradigme frappant: Eric Toussaint était (il l'est toujours) le président du CADTM, le Comité pour l'annulation des dettes du tiers monde. Autant dire que pour un journaliste couvrant la politique européenne, rompu à la loi du mort-kilométrique, son sujet de base était loin de mon radar. Or voilà qu'il s'avérait que les dettes des pays européens, aussi, devaient être annulées ? L'Europe était-elle en voie de tiers-mondisation, comme le laissaient supposer les articles effarants sur les opérations de MSF en Grèce ?
Je connaissais le concept de dette odieuse des dictateurs africains, dont le droit international prévoit l'annulation. Eric Toussaint en proposait une version beaucoup plus étendue: les dettes contractées pour éponger les pertes des banques devaient elles aussi être remises à zéro, plaidait-il - et n'a-t-il cessé de plaider depuis lors, d'Athènes à Bruxelles.
Mais en plein coeur de la crise, cette demande a été balayée par un argument massue: le risque de contagion. En Belgique, Didier Reynders, alors ministre des Finances, que j'ai interrogé à maintes reprises sur le sujet, répétait comme un mantra qu'un défaut de paiement de la Grèce serait similaire à la faillite de Lehman Brothers. La déroute du géant bancaire américain avait plongé le système financier mondial dans le choas trois ans plus tôt. ""Même un âne ne bute pas deux fois sur la même pierre", insistait Didier Reynders en 2011. La suite de l'histoire est connue: les créanciers privés de la Grèce ont accepté du bout des lèvres une décote sur leurs titres, mais l'essentiel de la dette grecque est passée désormais entre les mains des autres Etats européens, à travers le Mécanisme européen de stabilité, au prix d'une cure d'austérité drastique.
Dans son livre "Bancocratie", qui vient de paraître aux éditions Aden, Eric Toussaint règle son compte au fameux risque de contagion.
"Aucune des faillites bancaires depuis 2007", rappelle-t-il, "n'a été provoquée par un tel défaut de paiement. Aucun des sauvetages bancaires organisés par les Etats n'a été rendu nécessaire par une suspension de paiement de la part d'un Etat surendetté. Ce qui menace les banques, c'est le montage de dettes privées qu'elles ont progressivement construit depuis la grande déréglementation qui a commencé à la fin des années 1970 et qui s'est poursuivie au cours des années 1990 jusqu'à 2007-2008".
Ce n'est pas le moindre mérite du livre que d'analyser méthodiquement le bilan des banques européennes pour montrer à quel point les risques encourus par le système financier est le fait des banques elles-mêmes.
Dans les chapitres les plus intéressants, à la fois techniques et pédagogiques, l'auteur explique pourquoi et comment les banques ont gorgé leurs comptes de produits dérivés risqués, axés sur le profit, au détriment des prêts aux ménages et aux entreprises. Si le constat n'est pas neuf, Bancocratie donnera à ses lecteurs les outils pour mieux décoder les informations cryptiques que seule véhicule la presse financière.
Le chapitre relatif aux règles de Bâle permet de comprendre à quel point les nouvelles exigences de recapitalisation des banques sont manipulables.
Spéculation sur les produits agricoles, recherche de retours élevés, banques universelles "too big too fail & jail": toutes les grandes dérives bancaires sont dénoncées avec une rage qui n'ôte rien au sérieux de l'exercice.
Qu'on partage ou non toutes les conclusions d'Eric Toussaint, son livre dresse un constat radical, mais nécessaire. Car ce n'est qu'en prenant la mesure des enjeux que le politique sera en mesure d'y apporter des remèdes.
Parmi les nombreuses pistes que l'auteur offre dans son dernier chapitre, relevons la plus emblématique: la "socialisation du secteur bancaire sous contrôle citoyen". Est-elle réellement utopique, au vu du coût des sauvetages bancaires par les contribuables ? La question doit être posée.
L'Etat belge contrôle Belfius à 100%, il est le premier actionnaire de BNP Paribas, mais l'actualité de l'année écoulée a révélé à quel point il se désintéressait de sa mission d'actionnaire public. Comble du pathétique: l'un des administreurs représentant l'Etat belge au Conseil de BNPP, Emiel Van Broekhove, s'est gargarisé publiquement de son indépendance. Dans une interview, il a osé affirmer qu'il n'avait pas de compte à rendre
Ces propos ont suscité l'indignation dans la classe politique, mais il n'est pas certain que le gouvernement ait pris la mesure de l'enjeu.
Voici d'ailleurs - en exclusivité - ce que dit le projet d'accord de la coalition suédoise à ce sujet: 
"Le gouvernement fédéral continuera à jouer son rôle d'actionnaire dans des institutions financières en conformité avec les principes de gouvernance en vigueur et se basera à cet égard sur le Code de conduite de l'OCDE de gouvernement d'entreprise à l'intention des Etats qui détiennent une participation dans ces entreprises. Le gouvernement établit un cadre pour les administrateurs qui, en fait, représentent l'Etat et conclut des accords avec ladirection de ces entreprises afin de s'assurer queles normes d'éthique des affaires soient respectées".
A coup sûr, Eric Toussaint trouverait ça mou du genou, d'autant que le prochain gouvernement entend se désengager du secteur bancaire.
"Le gouvernement veille à valoriser les participations dans le secteur financier au moment opportun et de manière judicieuse. Le rôle de la Société Fédérale de Participations et d'lnvestissement est réexaminé : la capacité de gestion est renforcée, la politique d'investissement est réorientée et les participations de l'Etat fédéral sant centralisées au sein de la SFPI".

lundi 15 septembre 2014

Tax transparency: when PwC has a finger in every pie


Do you know CBCR? The acronym hides a new public tool aimed at ensuring that multinational corporations reveal how much tax they pay in every country they work in. It's no little matter: while we all know that big business manages to shrink corporate tax bills to around 10% or less, very little information is available on the amounts paid to each and every country. Understandable as it is that taxpayers’ personal information should remain confidential, the current level of opacity can no longer be warranted. Multinational companies play an important role in the lives of globalized workers/consumers. Knowing how much tax they pay, and where, should be as natural as being informed about government expenditure. Hence the interest of CBCR, the so-called country by country reporting. This new standard will soon oblige companies to divulge, for every country where they do business, taxes paid and subsidies received. Back in 2003, it was initially proposed by a British accountant named Richard Murphy, a close ally of the tax justice movement, and has since come a long way. It has now emerged from the small activists circles and is on the verge of becoming an internationally acknowledged norm - to the delight of its instigator (see here).
The EU and USA have already enforced it for extractive industries. Since these dig and pump in the core of countries, including numerous developing states, it’s only natural that their citizens should know how much they get in return in the form of tax, so goes the logic. From 2016 or 2017 onwards, mining and logging companies will have to start to publish CBC reports.
But why stop there? Couldn’t CBCR be imposed on all multinational corporations? EU heads of state and government seemed to think so in May 2013, when they issued a call for such transparency after a summit dedicated to tax avoidance. Unfortunately, as I have reported on this blog, the file has been discretely shelved, courtesy of German and British lobbying.
Another sector, however, has been deemed ripe for CBCR: the banking sector.
A recent EU directive on capital requirements obliges banks to publish a certain amount of information country by country (taxes, but also turnover, number of employees, etc.). In the current climate of hostility towards financial industries, lobbyists have only succeeded in ensuring that this new requirement is evaluated (and possibly amended) by the European Commission.
Harmless? Pay attention to the small print. The Commission has just decided that it won’t carry out the evaluation itself, but rather contract the audit firm PriceWaterhouseCoopers. The reason for this is that it lacks the staff to conduct the investigation itself. The one person in charge of corporate reporting just cannot measure the impact on the entire financial sector by himself. But there is a trick: PwC is far - very far indeed – from offering the independence one might expect on the topic. The firm is itself very actively promoting aggressive tax avoidance (as I have documented in chapter 7 of my book) In Belgium, the local branch supports the Tax Freedom Day, an anti-tax lobbying tool designed by a right-wing think tank in the United States. Interestingly, PwC has lobbied against the very CBCR it has been mandated to evaluate. On behalf of 14 multinational companies, the audit firm has pushed the OECD to limit the transparency of its own CBCR standard. The information, so PwC has argued, should be exchanged only between tax administrations, and not disclosed to the public (see here, page 147 onwards). In other words, PwC is being asked to give its opinions on a measure it has lobbied against on behalf of its clients. The conflict of interest couldn’t be clearer.
But how can this be surprising? For years now, big audit firms have managed to find a cozy spot in the middle of the international fiscal debate, on the one hand advising governments on designing taxes, and on the other helping companies to avoid them.
Just recently, the Australian presidency of the G20 accepted sponsorship totalling at least 300.000 US dollars from three global accounting firms in exchange for seats at a high-powered G20 summit on countering corporate tax dodging.
While just another example among many other cases of role confusion, it illustrates how audit firms succeed in capturing the attention of world leaders. Again, it’s no little matter, when you know how little they like the global clampdown on tax avoidance carried out by the G20 and the OECD since the financial crisis (see here).

"Dumping fiscal" in English

A chapter of my book, which has earned critical acclaim in the French and Belgian media, has been translated in English.
Here it goes:
“It is your duty to negotiate from a position of strength in tomorrow’s world.” Thus speaks Ajit Shetty, the head of the Forum for Multinational Companies in Belgium. The month is June 2013, and the MCB Forum is holding its annual meeting in a chic hotel in the capital. Baron Shetty knows what he is speaking of: for a long time he directed Janssen Pharmaceutica, a big fish in the pharmaceutical sector, one of the 250 subsidiaries of the global behemoth Johnson & Johnson.

The incentives offered by Belgium are “very attractive,” he says. Besides notional interest deduction – a system of massive tax reduction - the legislator has devised a specific deduction for patents. “We have the best of both worlds,” the businessman exclaims. But now is not the time to lower one’s guard. In the full swing of the economic crisis, fiscal gifts are no longer the order of the day. “We are not asking for new enticements,” but Belgium must “guarantee stability for the next ten years,” he demands. He warns the executives who have come to hear him not to procrastinate. If the fiscal climate is downscaled, “you might as well pack your bags and leave the country in a few months’ time.” Doesn’t the European financial transaction tax risk weighing on earnings? “If you can relocate to Geneva and avoid this tax, why not?”


(click here to read the entire chapter)
A recent blog post has also been translated and will be published here.

mardi 5 août 2014

La libération fiscale, vaste fumisterie

En ces temps troublés où l'on commémore des passés qui semblent ressembler à nos avenirs, il est une confusion sémantique dont les médias sont particulièrement friands. J'ai nommé la journée de libération fiscale, célébrée partout dans le monde comme le "le jour où le travailleur moyen cesse de travailler pour l’État et commence à travailler pour lui-même".
En Belgique, la Libération, c'est pour demain le 6 août, ont fait savoir des instituts néolibéraux et cabinets d'audit, repris à l'unisson par les médias (voir notamment Le Soir). Ceux qui ont vécu celle de l’été 1944 apprécieront le mélange des genres.
Il n'est pas inutile de rappeler que la journée de libération fiscale est un concept véhiculé à l'origine par la droite ultra-libérale américaine, sous le nom de Tax Freedom Day. Il se dit que l'économiste Milton Friedman, grand pourfendeur de l'Etat et des politiques keynésiennes, voulait en faire la jour de la fête nationale (ici)!
Nul ne pourrait douter que le travail est trop taxé en Europe, et singulièrement en Belgique, où les travailleurs sont tout simplement les plus imposés au monde. Baisser cette fiscalité en la compensant par des taxes environnementales ou sur le capital s'impose comme une évidence.
Il n'en reste pas moins que la journée de libération fiscale est une idée fumeuse. Dans cette conception pour le moins étroite, l’État est un corps étranger qui ponctionne ses citoyens, tandis que les notions de redistribution et de service public n’existent tout simplement pas. On travaillerait pour soi une partie de l'année et pour un monstre assoiffé d'impôts le reste du temps. On oublie que les services publics fonctionnent toute l'année, et que les impôts servent aussi à atténuer les inégalités qui se sont tant creusées ces dernières décennies. On oublie de signaler que les pays qui sont "libérés" le plus tard sont aussi souvent ceux qui sont les mieux classés dans l'indice de développement humain de l'ONU.
J'ai déjà écrit ceci dans un livre consacré à la concurrence fiscale en Europe. A ce titre, j'ai été invité à débattre de la journée de libération fiscale avec Cécile Philippe de l'institut Molinari (en podcast ici, à partir de 25'00).

mercredi 16 juillet 2014

Entre social et paradis fiscal, de quel côté penche vraiment Jean-Claude Juncker ?

Quand, à la tête de l'Eurogroupe, il mettait en musique le programme d'austérité infligé à la Grèce, Jean-Claude Juncker ne manquait pas un occasion de souligner à quel point son coeur saignait de voir le peuple grec subir tant de souffrances. Mais la rédemption était nécessaire, expliquait celui qui incarnait alors la responsabilité politique à l'oeuvre derrière la troïka.
L'homme aime à se présenter comme un social-chrétien à l'ancienne, aussi soucieux de solidarité que de gestion rigoureuse des comptes publics. Cette image, soigneusement cultivée, lui vaut d'être apprécié à gauche par ceux qui voient en lui un conservateur modéré. Philippe Lamberts (Ecolo) pouvait ainsi dire de lui récemment qu'il a "une vraie conscience sociale" (ici). Ce crédit lui a valu d'être élu à la tête de la Commission européenne par une majorité assez large, ce mardi 15 juillet à Strasbourg (ici). Tous les députés de la gauche belge lui ont apporté leurs voix: Philippe Lamberts, donc (contrairement à la majorité du groupe qu'il préside), ainsi que les trois élus du PS (contrairement à leurs collègues socialistes français se sont abstenus).  
Une partie de la presse se montrait elle aussi convaincue par le plaidoyer social de Juncker. "Plus social, plus socialiste", titrait mercredi Le Soir."La Commission Juncker défendra une Europe plus sociale", embrayait L'Echo. Euractiv parle d'un "renouveau du modèel social européen" (ici).
L'homme, il est vrai, a donné quelques gages à gauche: il veut soumettre toutes les réformes imposées aux Etats sous programme d'aide à une évaluation d'impact social. Il parle d'un élargissement des fonds pour l'emploi des jeunes et d'un revenu minimum garanti dans toute l'Union. Il évoque aussi un plan d'investissement de 300 milliards d'euros, un montant impressionnant repris à l'unisson par les journaux, qui donne au futur président de la Commission un petit air rooseveltien (très à la mode à l'heure où le New Deal est recyclé à toutes les sauces).
Ce que la presse n'a pas vraiment relevé, c'est que M. Juncker n'a pas donné le début d'un indice sur la manière dont il comptait financer son plan d'investissement. Le budget annuel total de la Commission européenne, il faut le rappeler, est d'environ 140 milliards d'euros. Quant à la Banque européenne d'investissement, on a perdu le compte des fois où on l'a appelée à la rescousse (remember le pacte de croissance fumeux vendu par François Hollande ? Gageons aussi que l'échec de son premier project bond amènera la BEI à redoubler de prudence dans ses prêts...)
Une poche où M. Juncker ne puisera sans doute pas, c'est  celle des Européens les plus fortunés et des grandes entreprises. Faut-il rappeler que l'homme a dirigé le Luxembourg pendant près de deux décennies (1995-2013) au cours desquelles le Grand-Duché a développé d'innombrables privilèges fiscaux pour les uns et les autres ?
Premier ministre d'un paradis fiscal, ça cadre mal avec l'image sociale polie aux bonnes intentions. Aux journalistes qui osent lui faire remarquer la contradiction, M. Juncker a l'habitude de répondre très sèchement, comme dans cette interview de 2008, où il reproche à France 2 de donner dans le "journalisme primaire" sans toutefois apporter de réponse convaincante (à partir de 7:00). 


Juncker a France 2 par smilecollector

Lors des ses auditions récentes au Parlement européen, s'efforçant de se rendre sympathique aux députés qui devaient l'élire, il s'est montré plus souriant, mais il n'en a pas moins louvoyé pour éviter de répondre aux questions sur la politique fiscale du Grand-Duché. "Je dis oui à la concurrence fiscale, je dis non à la concurrence fiscale déloyale", a-t-il notamment déclaré. Un distinguo qu'on appréciera à la lumière de la résistance farouche opposée par le Luxembourg pendant des années aux progrès vers la transparence fiscale pour les particuliers et les entreprises (voir les nombreux articles publiés sur ce blog)
Tout au plus s'est-il engagé à ne pas retirer la proposition de la Commission sur l'assiette commune pour l'impôt des sociétés, le plus important projet d'harmonisation fiscale actuellement en Europe (voir notamment ces articles).
Ne pas effacer le peu qui a déjà été fait, c'est bien le moins qu'on puisse attendre du président de la prochaine Commission. Celle-ci aura à poursuivre les efforts de lutte contre l'optimisation fiscale agressive initiés ces dernières années, et qui commencent à peine à donner des résultats concrets. Elle devra notamment mener à terme les enquêtes lancées contre les rulings et les privilèges fiscaux octroyés par le Luxembourg (ici) et par d'autres pays.
On peut douter que Jean-Claude Juncker mettra beaucoup de zèle à cette tâche. Tout dépendra, en première instance, de la personnalité qu'il choisira pour le portefeuille de la fiscalité. Optera-t-il pour un poids lourd politique, qui pourra faire avancer la transparence et l'équité ? Ou confiera-t-il le poste à un commissaire de seconde zone ? Tout laisse à penser que que le second scénario sera le bon. Mais on ne demande qu'à se tromper.

mardi 8 juillet 2014

Transparence fiscale des entreprises: quand PwC mange à tous les râteliers

Connaissez-vous le CBCR ? Derrière cet acronyme se cache un nouvel outil public qui doit assurer la transparence fiscale des multinationales. La chose n'est pas anodine: si aujourd'hui on sait que beaucoup de grandes entreprises parviennent à réduire leur impôt sur le bénéfice globalement sous les 10%, on ne dispose que d'informations très incomplètes sur les montants versés à chaque pays. On peut comprendre le souhait de confidentialité pour les contribuables particuliers, mais dans le cas d'entreprises qui jouent un rôle considérable dans nos vies de travailleurs/consommateurs mondialisés, ce secret n'est franchement plus justifiable.
C'est tout l'intérêt du CBCR, le country-by-country reporting. Cette nouvelle norme obligera bientôt les entreprises à dévoiler, dans chaque pays d'activité, les impôts payés et les subventions reçues. Proposé en 2003 par le comptable britannique Richard Murphy, proche du mouvement de justice fiscale, le CBCR a parcouru depuis une longue route semée d'embûches. Aujourd'hui, il est en passe de devenir un standard reconnu internationalement. Pour le plus grand plaisir de son instigateur (ici).
L'Europe et les Etats-Unis l'ont déjà imposé dans le secteur des industries extractives. Puisque celles-ci puisent dans les ressources naturelles des pays, notamment dans les pays du sud, il a été jugé opportun que soit connu le juste prix payé en retour sous forme d'impôt. A partir de 2016 ou 2017, les entreprises minières et forestières commenceront donc à publier des rapports CBC.
Mais pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? La transparence pourrait aussi être imposée à toutes les entreprises multinationales. Les chefs d'Etat et de gouvernement européens l'ont d'ailleurs proclamé en mai 2013, après un sommet consacré à l'évasion et l'optimisation fiscale. Malheureusement, comme je l'ai rapporté sur ce blog, cet objectif a été renvoyé aux calendes grecques.
Un autre secteur, toutefois, a été jugé propice à l'application du CBCR: le secteur bancaire. Une directive européenne récente sur les fonds propres des banques impose à celles-ci de dévoiler un certain nombres d'informations pays par pays (impôts, mais aussi chiffre d'afaire, nombre de salariés, etc.). Dans un climat public très hostile à la finance, les opposants à cette transparence ont à peine réussi à obtenir que cette nouvelle obligation fasse l'objet d'une évaluation (et d'une possible révision) par la Commission européenne.
Or, voilà que cette dernière vient de passer la patate chaude au cabinet d'audit PwC. Après un appel d'offre, le cabinet a été chargé de réaliser l'étude. Motif ? Le manque de ressources en interne pour procéder à une telle analyse. Le problème, c'est que PwC ne présente aucun - mais vraiment aucun - gage d'expertise indépendante. Le cabinet est très actif dans l'optimisation fiscale des entreprises (comme je le documente au chapitre 7 de mon livre). Sa branche belge donne dans le lobbying antifiscal en soutenant le "tax freedom day". Plus piquant: le cabinet a milité contre le CBCR dans le cadre d'une consultation de l'OCDE sur le sujet. Mandaté par 14 entreprises multinationales, PwC a plaidé pour que les informations pays par pays soient réservées aux administrations et ne fassent l'objet d'aucune communication au public (voir ici, à partir de la page 147).
Autrement dit: on demande à PwC de donner un avis indépendant sur une transparence fiscale, alors que ce même cabinet l'a déjà dénoncée au nom de ses clients. Le conflit d'intérêt ne saurait être plus évident.
Comment s'en étonner ? Depuis des années, les grands cabinets d'audit ont réussi à se placer au centre du jeu, conseillant d'un coté les gouvernements sur les mesures fiscales, de l'autre les multinationales sur les façons de les contourner.
Récemment encore, dans le cadre de sa présidence du G20, le gouvernement australien a accepté que Deloitte, KPMG et ce même PwC sponsorisent une grande conférence sur l'avenir de la fiscalité internationale, en échange de places enregistrées et de tribunes (ici). Un rôle de choix, quand on sait à quel point les multinationales que ces cabinets représentent craignent le tour de vis opéré par le G20 et l'OCDE (ici).


vendredi 25 avril 2014

"Dumping fiscal": "Un livre limpide, informé, qui fait oeuvre démocratique"

Mon livre "Dumping fiscal" est à présent disponible en librairie et en ligne (notamment ici pour la Belgique et ici pour la France).
Il raconte, dans un style romancé et pédagogique, la concurrence que se livrent les Etats européens pour attirer les capitaux, les riches, les sportifs, les entreprises, les tournages de films, etc.
Il démontre comment cette concurrence a fini par devenir un dumping: elle crée un cadre propice aux montages fiscaux agressifs et contribue au creusement des inégalités.
J'y retrace aussi l'histoire méconnue de la libéralisation des mouvements de capitaux en Europe, seule région du monde à l'avoir érigée au rang de principe quasi constitutionnel.
Les derniers chapitres explorent les coulisses des grandes négociations internationales sur le sujet et les échecs de l'harmonisation fiscale européenne.





Plusieurs médias lui ont déjà réservé un accueil très positif.

Sur Médiapart (ici):
"Elle constitue le fondement de bien des débats autour de la santé économique de la France et de l’Europe, mais elle reste pourtant invisible. La question, fondamentale, de la concurrence fiscale entre États n’est que trop rarement abordée de front. C’est tout le mérite du livre d’Éric Walravens, publié le 17 avril (éditions Les petits matins/Institut Veblen), de sortir ce sujet des non-dits, d’en démonter les mécanismes, et de remettre en cause une logique qui contribue inexorablement à la ruine des États européens et à la perte de leur souveraineté.
(...)
Les indignés d’un jour auront tout intérêt à lire ce livre, qui dresse un catalogue saisissant de toutes les dérives, la plupart légales, possibles en Europe. L’auteur s’est principalement concentré sur les efforts des Pays-Bas, de la Belgique, du Luxembourg et de l’Irlande pour attirer sur leur territoire les riches particuliers et les entreprises florissantes nés dans les pays voisins. Et les astuces, souvent racontées dans le livre par des acteurs les ayant défendues ou les ayant vues naître, sont légion."

Dans Alternatives Economiques (ici), Christian Chavagneux écrit ceci:
"En partant de la Belgique et en élargissant son enquête pour décrire quelques situations criantes aux Pays-Bas, au Luxembourg ou en Irlande, ce petit livre illustre parfaitement les méfaits de l'absence de coopération fiscale en Europe. (...) Un livre limpide, informé, qui fait oeuvre démocratique."

Politis écrit (ici):
"Les investigations du journaliste belge Eric Walravens font passer les nombreux rapports parlementaires français sur la fraude et l'évasion fiscales pour d'aimables conversations de bureau."

Dans la Revue-Projet, Jean Merckaert, écrit (ici):
"Très bien documenté, précis sans être jargonneux, engagé sans être idéologue, agréable à lire, ce livre d’un journaliste belge réussit le tour de force de rendre accessible un sujet souvent technique. Une synthèse bienvenue pour tous les citoyens et les politiques qui n’ont pas renoncé à faire de nos États les garants de l’intérêt général."

Dans les Carnets de l'Economie, sur France Culture, en ouverture d'une série d'interviews (en podcast ici), Vincent Lemerre parle d'
"un livre passionnant qui évoque d'une manière assez crue un sujet qui est au coeur des dysfonctionnements, voire des dérives de l'Union européenne". 

Dans La Semaine de l'Europe sur la Première (RTBF), j'ai été invité à commenter les nouvelles procédures lancées par la Commission européenne contre des avantages fiscaux aux multinationales octroyés par l'Irlande, les Pays-Bas et le Luxembourg. La journaliste Anne Blanpain dit ceci:
"Je le dirais aussi si vous n'étiez pas en face de moi: c'est un excellent livre, qui ouvre les grandes questons politiques posées par le dumping fiscal".

Le Monde évoque le livre dans un article consacré au foisonnement actuel d'essais sur la fiscalité (ici), joliment intitulé "Trop d'impôt ne tue pas le débat".

"Dans son essai, Eric Walravens veut explorer les coulisses d'un «chantage» qui contribue à « délégitimer l'impôt » . « Comment mettre en place une taxation légitime si les plus mobiles menacent de ne pas y contribuer ? Pourquoi payer son impôt si les plus habiles y échappent ? » , demande l'auteur, journaliste à l'agence de presse Belga (Belgique). Une problématique vieille comme le mythe de Gygès raconté par Thrasymaque, dans La République de Platon, qui soutenait qu'il faut être bien naïf pour obéir aux lois quand celles-ci sont désavantageuses et qu'on peut impunément les transgresser .
Chantages aux délocalisations, cadeaux démesurés, influence des sociétés d'audit, stratégies des paradis fiscaux : l'enquête montre comment les entreprises flirtent avec la légalité. Un jeu du chat et de la souris qui a récemment conduit le fisc français à effectuer des redressements énormes contre Google et contre McDonald's. L'enquête est circonscrite à l'Union européenne , « espace politique voué à la coopération et qui pourtant choisit la compétition » en la matière."

La Libre Belgique dit ceci (ici):
"Intérêts notionnels en Belgique et tax-shelter permettant au pays de se muer en Hollywoodeke européen; secret bancaire et fondations patrimoniales au Luxembourg; défiscalisation des royalties et "sandwich néerlandais"; taux plancher de l’impôt des sociétés en Irlande; crédit impôt recherche en France; citoyenneté à vendre à Malte… Et on en passe… L’imagination fiscale des gouvernements pour tenter de capter la richesse est sans limite.
Les bénéfices de ces cadeaux fiscaux pour la collectivité (en termes d’emploi, notamment) sont mal évalués et/ou difficilement évaluables, pour ne pas dire hypothétiques. Les effets pervers de cette course au moins-disant fiscal apparaissent en revanche plus clairement.
Journaliste à l’agence de presse Belga, spécialiste des affaires européennes depuis dix ans, et plus particulièrement de leurs volets économiques et financiers, Eric Walravens s’est attaché à les décortiquer, dans un ouvrage court, mais documenté".

L'Agefi dit (ici): 
"C’est à un exercice fouillé et précis mais accessible auquel s’est livré l’auteur  – ce qui représente une difficulté majeure dès que l’on aborde la technique juridico-fiscale européenne. "

M... Belgique revient sur une information exclusive publiée dans mon chapitre à propos d'un cadeau fiscal belge à Euroclear et bank of New York Mellon. l'article est accompagné d'une longue interview. Le journaliste David Leloup les republie sur son blog (ici et ici).


Yann-Anthony Noghès m'a interrogé pendant une petite heure sur BFM Business (en podcast ici). Avec en prime une confrontation avec Cécile Philippe de l'institut Molinari sur la journée de libération fiscale, un concept que je trouve particulièrement fumeux.

 
Sur son blog (ici), la journaliste de France Télévision Anne Brigaudeau synthétise le propos du livre sous forme de guide pratique! "Où payer moins d'impôt si on est" une multinationale, un riche, un producteur de cinéma, un pensionné...


 L'Observatoire des Multinationales et Basta Mag m'ont également interrogé et publient un compte rendu du livre (ici et ici).
"De manière aussi complète qu’efficace, Éric Walravens propose un tour d’horizon des dispositifs fiscaux « attractifs » offerts par la Belgique et ses voisins européens aux entreprises et aux particuliers. Intérêts notionnels, montages financiers complexes, défiscalisation des brevets, « rulings » fiscaux… c’est une véritable jungle de dispositifs d’exception et de régimes particuliers que l’ouvrage met en lumière, où le droit commun fiscal ne semble plus valoir que pour les « petits »."

Le mensuel économique et financier luxembourgeois PaperJam se félicite surtout que le Luxembourg ne soit pas le seul pays pointé du doigt (ici). J'essaie en effet d'analyser un système, plutôt que d'isoler l'un ou l'autre Etat. Ce n'est en rien une raison pour la complaisance.
"Bien documenté, Éric Walravens maintient un certain équilibre dans la dénonciation d’états de fait. (...) La Belgique, l’Irlande, Malte ou les Pays-Bas sont cités pour permettre, d’une manière ou d’une autre, d'éviter certains frottements fiscaux. Dans un style romancé, son auteur condamne en fait moins les États qu’un système officieux, de bric et de broc, dont seule une minorité bien informée peut profiter.
On pourrait en revanche certainement reprocher un certain tropisme - propre à ce type de littérature - consistant à blâmer automatiquement la pratique de la niche fiscale plutôt qu’à la considérer comme un prolongement de la politique économique… d’autant plus que la politique monétaire est dorénavant l’objet du monopole de la Banque centrale européenne."
A cette critique, je répondrai que je ne vois aucun problème à ce que des niches fiscales soient développées en appui d'une politique économique. Mais quand la politique économique en question consiste exclusivement ou presque à favoriser l'évasion ou l'évitement fiscal, elle est évidemment condamnable. Les niches fiscales devraient en outre être mieux coordonnées au niveau européen pour éviter les abus et les effets d'aubaine.
Cette question est toujours bien d'actualité au Luxembourg au lendemain des LuxLeaks, qui amènent le pays à amorcer une timide remise en question de sa politique fiscale (voir notamment ce billet). 


Europolitique, un quotidien spécialisé dans les affaires européennes, m'a interviewé (ici, dernière page) et dit ceci:
"Il vient de publier, dans un livre qui se lit comme un roman, le résultat d’un long travail d’enquête sur le phénomène de la concurrence fiscale en Europe – et, très concrètement, sur les trésors d’imagination que les Etats déploient afin de 'piquer dans l’assiette de leurs voisins'".

La même interview est publiée dans plusieurs quotidiens suisses, notamment dans La Liberté (ici).


Par ailleurs, le Nouvel Observateur  m'a ouvert ses colonnes pour parler du dumping fiscal à la lumière de l'actualité (ici).


Enfin, je ne saurais terminer cette revue de presse sans mentionner cette référence surpenante à mon livre sur un blog dédié au cinéma. A la fin d'un petit article sur un film italien des années 1970, l'auteur compare le méchant du film à ceux d'aujourd'hui.
"Quant aux filous (...), ils ne furent que des rigolos comparés aux requins d’aujourd’hui. A ce propos, il est vivement conseillé de lire le livre écrit par le journaliste belge Eric Walravens, récemment paru aux éditions “Les petits matins” : Dumping fiscal : enquête sur un chantage qui ruine nos Etats."

Ce qui me permet de rappeler que mon livre s'ouvre sur l'exemple du tax shelter: le premier chapitre retrace comment la Belgique a réussi à délocaliser une partie du cinéma français grâce à cette aide fiscale très attractive...