vendredi 13 septembre 2013

Deux bonnes raisons de contrarier les Catalans

Qu'ils sont nombreux, ces Catalans qui manifestent pour l'indépendance. Ce 11 septembre, ils ont formé une chaîne humaine longue de 400 kilomètres, une "voie catalane" vers la sécession totale de l'Espagne. Qu'ils sont beaux, drapés de rouge et d'or! Quel désir ardent d'indépendance on perçoit dans leurs regards!


On aurait presque envie de rêver avec eux. La Catalogne n'incarne-t-elle pas le désir de liberté face au centralisme autoritaire de Madrid ? N'est-elle pas l'image même d'un soulèvement pacifique et citoyen, auquel un Etat rigide, pas totalement débarrassé de son passé franquiste, n'apporte aucune réponse ? Les Catalans n'ont-ils pas droit à un référendum, à l'autodétermination ?
Il est tentant de le penser. Mais il existe au moins deux bonnes raisons de contrarier cette aspiration.

Size matters
La première, c'est que le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ne se comprend pas de la même façon aujourd'hui, en Europe, que dans le contexte de la décolonisation.
Le principal défi de l'Europe aujourd'hui est celui de la taille. Dans un monde globalisé, les pays européens ne font pas le poids face aux Etats-Unis, à la Chine et à la Russie, mais surtout face aux acteurs économiques. Alors que les entreprises multinationales sont de plus en plus grandes et concentrées, le pouvoir politique en Europe est de plus en plus morcelé. Les multinationales en profitent pour faire leur shopping, pour faire jouer la concurrence entre les pays. L'arrivée de nouveaux Etats (Catalogne, Ecosse, Flandre) ne fera que renforcer ce morcellement; elle accentuera le dumping fiscal et social. Ces petits Etats pensent qu'il leur suffira de s'abriter derrière le paravent européen. Mais leur désir d'indépendance les aveugle: ils ne voient pas que l'Europe reste impuissante à bien des égards. En raison de règles d'unanimité paralysantes, elle ne prend aucune décision valable sur la fiscalité ni sur le droit social. A moins de transférer des nouvelles compétences à l'Europe - ce qui n'est pas la tendance actuelle, sauf en ce qui concerne la finance et la rigueur budgétaire -, les indépendances se solderont par une concurrence intra-européenne accrue au détriment du bien-être collectif.

Patriotisme constitutionnel
La seconde raison tient à la nature de l'Etat moderne. Le défi des Etats aujourd'hui, c'est de faire cohabiter pacifiquement, sous les mêmes institutions, des communautés diverses. Partout en Europe, des communautés ethniques vivent ensemble dans l'un ou l'autre Etat. La cohabitation est parfois difficile, mais elle est infiniment préférable à la sécession, dans laquelle se cache toujours le rêve d'un Etat ethniquement pur.
En Belgique, le ministre-président wallon, Rudy Demotte a provoqué un vif débat cet été, en affirmant qu'il existait un nationalisme positif. Beaucoup lui ont rétorqué que le nationalisme se construisait toujours sur le rejet de l'autre.
A un nationalisme prétendument positif, je préfère le patriotisme constitutionnel. Ce concept développé par Habermas voudrait que les sociétés modernes soient capables de troquer leur sentiment national contre un amour pour le cadre démocratique lui-même. La patrie devient un ensemble de règles choisies en commun et permettant le vivre-ensemble.
Un concept rationnel, bien éloigné de la ferveur nationale catalane. Mais même sur la voie passionnée de l'indépendance, il doit être possible d'entendre la voix de la raison.

mardi 3 septembre 2013

A lire: "International Business Taxation", Sol Picciotto

C'est une brique indigeste de 400 pages en anglais serré, écrite il y a plus de 20 ans, et ça parle de fiscalité. Autrement dit, il y a très peu de chances que vouc cliquiez sur le lien que je vous propose aujourd'hui.
Mais pour tous ceux qui cherchent à comprendre les ramifications d'un système international qui permet aux grosses sociétés de ne payer aucun impôt ou presque, le livre de Sol Picciotto est un must.
Ce professeur d'économie, aujourd'hui à la retraite et membre actif du Tax Justice Network, y décrit l'évolution de l'impôt des sociétés depuis le début du 20e siècle. Il montre avec brio comment le système des traités bilatéraux est aujourd'hui désuet pour une économie mondialisée, et esquisse les contours d'un système plus juste. Publié en 1992, le livre n'a pas pas une ride. Il anticipe beaucoup des problèmes qui sont devenus aujourd'hui des enjeux politiques de première importance.
Si vous voulez mieux comprendre l'économie des multinationales, ou si vous souffrez d'insomnies, n'hésitez pas.