mardi 30 avril 2013

Taxe sur les transactions financières: les opposants sortent l'artillerie lourde


Si ce n'est pas une attaque coordonnée, ça y ressemble... Les opposants à la taxe sur les transactions financières (TTF) étaient restés silencieux ces dernières années. Pas facile, juste après une énorme crise bancaire, de s'opposer à une mesure vendue au public comme "taxe Robin des bois". Mais la TTF a tellement progressé qu'il faut sortir l'artillerie lourde. Fini de rire, semblent dire d'une même voix les banques et les places financières.
Les critiques viennent de partout. Elles sont les plus virulentes à l'intérieur des 11 pays ("zone TTF") qui ont décidé de négocier entre eux l'application de la taxe. Mais le caractère extra-territorial de la mesure inquiète aussi en dehors, notamment à Londres (voir mes posts précédents ici et ici).

Dans la zone TTF, le secteur financier crie au loup: coût faramineux, risques pour le financement de l'économie et possibilité de délocalisations... Des arguments de lobbying classiques, somme toute, mais qui trouvent un écho auprès des gouvernements.
Les chiffres les plus abracadabrantesques sont cités. En France, la taxe coûterait "plus de 70 milliards d'euros" et provoquerait "des délocalisations d'activités massives, qui menacent 30 000 emplois à brève échéance", selon un courrier adressé au ministre des Finances Pierre Moscovici par l'organisation patronale Medef et des lobbies financiers.
L'existence même d'une place financière française serait menacée. "C’est toute une génération de talents qui devrait rejoindre les secteurs de l’industrie financière non soumis à la taxe ou partir s’exercer à l’étranger sous la pression commerciale des clients", avance l'Association française de gestion (AFG).
En Belgique aussi, les banques sont remontées. Une étude de la fédération financière Febelfin, réalisée avec l'appui de la banque nationale (!), chiffre le coût théorique à 8,4 milliards d'euros - à comparer avec le montant total de 2,7 milliards que les banques paient à l'Etat au titre d'impôts divers.
Une analyse plus poussée publiée par l'administration des Finances donne une estimation plus modeste, comprise entre 624 millions et 1,63 milliard d'euros.
Le patron de Belfius, Freddy Boeckart, affirme carrément que la taxe compromet le redressement de la banque publique. Si elle est appliquée, "je crois que je ne serais plus en position pour pouvoir réaliser ma mission", a-t-il déclaré récemment à la RTBF (ici).
En coulisses, les lobbies se pressent au gouvernement pour plaider l'exemption de certains secteurs (fonds de pension, assurances, clearing...) ou certains types d'opérations (repos, intra-groupe...).
Face à ce feu nourri, le nouveau ministre des Finances, Koen Geens, semble prêt à lâcher du lest. S'il reste "très partisan" de la taxe, il veut l'aborder "avec circonspection" et "de manière équilibrée" (ici). Il s'agit pour lui d'un sujet "par excellence pour la prochaine législature européenne". Un très net changement de tempo, si ce n'est pas une mise au placard en bonne et due forme.
Aux Pays-Bas, on a d'ailleurs tergiversé moins longtemps. Le gouvernement libéral-socialiste a tout bonnement renoncé à participer. Faute de pouvoir exempter a priori les fonds de pension, il a annoncé qu'il se retirait des négociations.

Mais même hors zone TTF, l'opposition est rude. Non sans fondement. La taxe s'appliquera en effet aussi dans les pays européens qui n'en veulent pas. Un exemple: une action de Total (France, zone TTF) sera soumise à la taxe, même si elle est vendue hors zone, par exemple à Londres entre des sociétés chinoises.  Les places financières de Londres et de Luxembourg seront donc affectées. (Si vous voulez bien comprendre ce fonctionnement extra-territorial, lisez cette note publiée par Deloitte, avec des exemples clairs)
Or, le gouvernement britannique est déterminé à protéger les intérêts de la City. Un recours a donc été déposé à la Cour européenne de Justice. Il ne porte pas sur la taxe elle-même, puisque celle-ci n'a pas encore été approuvée, mais sur la décision unanime des 27 d'autoriser la coopération renforcée entre 11 pays. C'est un recours absurde, puisque le Royaume-Uni conteste donc une décision qu'il a lui-même approuvée. Clairement une manoeuvre pour gagner du temps - à laquelle le Luxembourg s'est rallié comme il se doit.

Lobbying intensif, menaces de délocalisations, coups fourrés... la TTF semble bien mal embarquée.
Une volonté politique sans faille sera nécessaire pour mettre en oeuvre le projet - en la faveur duquel plaident pourtant de nombreux arguments.

lundi 22 avril 2013

Une autre banque est-elle possible ?

Début des années 1980: la Belgique donne au monde la new beat, un nouveau son dont l'influence sera féconde pour la musique électronique, encore balbutiante à l'époque. Un petit quart de siècle plus tard, ce petit pays est-il sur le point d'imprimer un nouveau rythme, cette fois dans le domaine bancaire ? C'est l'ambition de NewB, un projet de banque coopérative dont le démarrage à 150 bpm a surpris tout le monde, et en premier lieu ses initiateurs. En deux jours, plus de 10.000 personnes ont acquis une part à 20 euros. Le compteur ne cesse de tourner et s'approche désormais des 40.000 coopérants.
En plus d'une participation aux (éventuels) bénéfices et d'un (futur) compte à leur nom, ils auront un vote sur les décisions stratégiques (une personne = une voix). A lire les messages laissés sur le site, ce sont surtout les valeurs de NewB qui ont séduit. Simplicité, transparence, sobriété résonnent positivement après cinq années où il fut surtout question de produits dérivés complexes, de paradis fiscaux et de bonus. Avec ce projet, une autre banque ne semble plus seulement possible, elle est à portée de main. Mais NewB sera-t-elle à la hauteur des espoirs qui sont placés en elle ?

Beaucoup de questions, quelques réponses

Dans le secteur financier, certains rêvent en secret de voir NewB se casser la figure, histoire de prouver que gérer une banque, ce n'est pas si facile. Comptes, site internet sécurisé, moyens de paiement, prêts hypothécaires, crédits aux entreprises, gestion financière complexe... "laissez-cela aux vrais pros", semblent penser les banquiers.
De facto, la nouvelle banque aura des questions épineuses à résoudre pour concilier tous ses objectifs, parfois contradictoires (capitalisation de grande qualité, investissements éthiques, service à la clientèle, profit modéré). Prêtera-t-elle aux petites et moyennes entreprises, là où les banques commerciales rechignent devant le risque et les frais de gestion ? Accordera-t-elle des crédits à long terme aux hôpitaux ? Offrira-t-elle sur ses comptes des taux suffisamment attractifs pour convaincre un public plus large que les enthousiastes initiaux ? Saura-t-elle convaincre les fonds de pension et autres investisseurs institutionnels de placer leurs billes dans le capital ? Comment rémunérera-t-elle ses collaborateurs et ses dirigeants ? Quelle concurrence mènera-t-elle aux autres institutions financières "éthiques", comme Triodos ?
Notons au passage que la banque néerlandaise a appris à ses dépens ce week-end qu'aucun faux pas n'est désormais plus toléré en matière de réputation financière: un article de Marianne faisant état de fonds logés dans des centres offshore a dû être rapidement remis en contexte. NewB saura-t-elle éviter ce genre d'écueils ?
Pour l'instant, beaucoup de questions sont encore sans réponse. Une première étude de faisabilité entamée il y a deux ans (avec le soutien financier des Régions) est en train d'être revue, à la lumière du succès de l'appel aux coopérants. Une première assemblée générale, le 6 juillet, permettra d'y voir plus clair.
Une fois définies les grandes priorités, NewB devra sollicter une licence bancaire auprès de la Banque nationale et commencer à recruter ses collaborateurs. Les rémunérations seront "convenables", sans être excessives, explique Bernard Bayot, l'initiateur du projet. "La campagne a aussi eu un succès auprès des employés du secteur, y compris pour les hautes fonctions", précise le possible futur CEO, qui a déjà reçu les candidatures de personnes "prêtes à changer d'institution, quitte à avoir une rémunération légèrement inférieure". Il faut dire que les banquiers n'ont plus trop le moral, entre les articles de presse assassins et la haine que leur voue une partie de la population. Si certains souhaitent l'échec de NewB, d'autres au contraire voudraient la rejoindre, même en gagnant moins...


Niveau capitalisation, NewB ne se contentera pas de respecter les exigences minimales - ces exigences que les banques commerciales jugent trop élevées. "Nous avons l'ambition d'aller au-delà", affirme Bernard Bayot.
Il a de bonnes raisons d'être confiant. Plusieurs études ont démontré la force du modèle bancaire coopératif. Si elles sont moins profitables que les banques commerciales, les coopératives présentent une plus grande stabilité de revenus et sont moins sujettes à la volatilité (voir le résumé de la littérature académique dans le fameux rapport Liikanen, page 58). C'est d'ailleurs très clair: depuis 2008, les banques coopératives résistent bien mieux que les autres à la crise (voir cette étude réalisée par la fédération européenne du secteur et cette publication du Bureau international du travail).
Les banques coopératives sont d'ailleurs loin d'être marginales en Europe. Aux Pays-Bas, la seule Rabobank pèse 39% des dépôts. En France, le Crédit agricole se taille 23,4% du marché, devant le Crédit mutuel, à 14,8% (voir ce tableau récapitulatif).
Le statut de coopérative en tant que tel n'est d'ailleurs pas une garantie de pratiques éthiques. Si on en croit les données reprises sur le site "les 7 péchés capitaux des banques" de l'eurodéputé belge Philippe Lamberts, le Crédit Agricole présente un bilan plus que mitigé. Voir ci dessous en image et en chiffres.






Aux Pays-Bas, Rabobank a des pratiques globalement bonnes, tandis que Triodos présente un résultat immaculé.



Comment se positionnera NewB dans ce classement ? Encore une question pour l'instant sans réponse. Mais il y a de bonnes raisons de penser que la banque réussira son pari... En tout cas, moi, j'ai envie d'y croire - et je suis devenu coopérant.

jeudi 11 avril 2013

Fin du secret bancaire: effets d'annonce ou vraie transparence ?

Depuis le temps qu'on nous l'annonce à l'agonie, il n'est toujours pas mort, le secret bancaire ? Il vient en tout cas de pousser quelques râles laissant penser que le supplice touche à sa fin.
Le Premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker, a annoncé mercredi que son pays était prêt à échanger de façon automatique des informations sur l'épargne des Européens à partir du 1er janvier 2015. Le chancelier social-démocrate autrichien Werner Faymann a embrayé en annonçant sa volonté de "négocier" la levée du secret bancaire pour les résidents étrangers.
Cinq grands pays (France, Royaume-Uni, Allemagne, Italie, Espagne) ont par ailleurs proposé d'étendre à toute l'Europe un système pilote d'échange multilatéral et réciproque d'informations fiscales, mis en place sous pression des Etats-Unis et de leur loi Fatca (ici).
Ce sont des progrès substantiels, du moins si on garde à l'esprit la lenteur infinie de l'harmonisation fiscale en Europe (voir mes posts précédents ici et ici). Comme le dit Pascal Canfin, ancien eurodéputé et journaliste d'Alternatives Economiques, grand pourfendeur des paradis fiscaux, "en quinze jours, on a remporté des batailles que nous menions depuis des années". Faut-il pour autant se réjouir, comme le fait un peu vite celui qui est désormais ministre de François Hollande ?
Sans aucun doute, l'accumulation de scandales et le contexte d'austérité donnent lieu à un écoeurement tel que les politiques doivent désormais donner des gages aux populations. Chypre, Cahuzac, OffshoreLeaks ont changé dramatiquement la donne.
Mais attention aux effets d'annonce et aux réformes de façade... Le Luxembourg et l'Autriche savaient leur secret bancaire condamné sous sa forme actuelle. L'inéluctable application de Fatca, combinée à l'obligation européenne de réciprocité (un mécanisme juridique que je détaillais ici) signifie en effet qu'ils seront légalement tenus de coopérer d'ici quelques années. Il est donc judicieux pour eux de faire une petite concession maintenant, alors que tous les projecteurs internationaux sont braqués sur l'évasion fiscale après les Offshore Leaks. Le Luxembourg, en particulier, est passé maître dans l'art de transformer une contrainte en une opportunité (à l'oeuvre ici et particulièrement ici). La meilleure défense, c'est l'attaque.
Reprendre la main, c'est aussi la stratégie privilégiée par François Hollande, quand il propose la publication controversée des patrimoines des élus (ici) ou avec le projet pilote de Fatca européen. Ce dernier s'apparente en fait surtout au recyclage médiatique d'un processus déjà bien en cours. Et qui permettra aux ministres d'afficher des résultats ce samedi, après des discussions européennes informelles à Dublin. 
Mais les vrais progrès prendront du temps et devront être examinés dans les détails. Retarder les accords, les saucissonner et les noyer dans une complexité propice aux malentendus ont toujours été des tactiques de prédilection des pays de secret bancaire. Il n'y a pas de raison que cela change.
Le secret ne sera vraiment enterré que si la transparence s'applique clairement à toutes les catégories de revenus, sans possibilité de contournement via des trusts, fondations et autres structures opaques. Pas avant. Même si dès ce week-end, à coup sûr, des ministres danseront sur sa tombe devant les caméras de télévision.