Pour rappel, le régime des intérêts notionnels, également appelé déduction pour capital à risque, a été vendu comme une innovation financière majeure au moment de son introduction, sous l'égide de l'ancien ministre des Finances Didier Reynders en 2005 Il avait deux objectifs, l'un très louable, l'autre beaucoup moins reluisant.
Côté clair, il s'agissait de mettre fin à une discrimination entre les deux principaux modes de financement des entreprises, la dette et le capital à risque. Pourquoi en effet permettre de déduire fiscalement les intérêts sur la dette, et pas la rémunération des actionnaires ? Cela revient à encourager sans raison valable un mode de financement (la dette, dont on prend aujourd'hui la mesure du risque) sur un autre.
Côté obscur, cependant, les intérêts notionnels ont surtout été inventés pour remplacer le régime des centres de coordination. Un régime grâce auquel la Belgique s'évertuait, depuis le début des années 1980, à subtiliser l'impôt des sociétés des pays voisins, mais condamné par l'Union européenne (ici).
Les intérêts notionnels ont connu un succès fulgurant. Après une tournée de promotion de Didier Reynders et du Premier ministre Guy Verhofstadt aux Etats-Unis et en Asie, de nombreuses entreprises étrangères, mais aussi belges ont profité du mécanisme pour réduire spectaculairement leur facture fiscale, souvent en transférant d'importants montants dans des centres financiers belges (Un exemple parmi de nombreux autres, celui de Veolia). Au point que le coût fiscal a explosé: la déduction, qui devait coûter à l'Etat quelques centaines de millions d'euros, revient en fait à plusieurs milliards (voir cette estimation pour 2012).
Combattue à gauche depuis ses débuts, notamment par l'activiste du PTB Marco Van Hees (dont le livre sur le sujet fait référence - en PDF ici), la mesure compte désormais tellement d'opposants qu'on voit mal comment elle pourrait survivre sous sa forme actuelle. Même Bruno Colmant, l'un de ses inventeurs, a appelé à revoir le mécanisme (ici et ici), tandis que les petites entreprises dénoncent un cadeau fiscal aux grosses sociétés (ici).
Mais hors de la Belgique, au contraire, l'idée d'un traitement fiscal favorable des fonds propres gagne du terrain. L'Italie de Mario Monti vient de mettre en place sa propre version des intérêts notionnels (ici), en permettant de déduire un pourcentage de l'accroissement des fonds propres (soit une formule plus limitée qu'en Belgique où il est possible de déduire un pourcentage des fonds propres dans leur entièreté).
En France, l'influent cabinet d'avocats Taj (Deloitte) plaide pour son introduction, avec une argumentation qui a de quoi surprendre les opposants de gauche de la mesure. Puisqu'aujourd'hui de nombreux groupes s'endettent artificiellement pour déduire les intérêts, il serait opportun de permettre de déduire aussi les fonds propres, avance le spécialiste Eric Robert dans cette tribune. Le modèle belge n'est toutefois pas à répliquer, selon lui:
"Il faut regretter l’arrière-pensée du législateur Belge, moins préoccupé par l’exigence de neutralité fiscale que par la nécessité de remplacer un cadeau par un autre : la déduction d’intérêts fictifs à raison de la rémunération des capitaux propres vient remplacer, dans l’esprit du législateur, le défunt régime des centres de coordination après sa condamnation par l’Union Européenne. Autrement dit, c’est bien la concurrence fiscale, et non l’objectif de neutralité, qui est à l’origine de cette mesure".La Commission européenne s'intéresse elle aussi à la déduction pour capital à risque, comme en témoigne cette étude sur le "debt-equity bias" (la distorsion entre la dette et le capital à risque) publiée récemment. Les auteurs appellent à réformer le système fiscal européen pour cesser de favoriser l'endettement par rapport aux fonds propres. Cette distorsion très ancrée partout sur le continent a des conséquences négatives "relativement larges", estiment-ils, en pointant notamment l'endettement artificiel des sociétés pour réduire l'impôt.
A lire ces contributions de haut niveau, il semble que les intérêts notionnels ne soient pas prêts de s'éteindre. S'ils sont condamnés sous leur forme actuelle, ils pourraient bien renaître dans des versions plus limitées, éventuellement à l'échelle européenne, même si la Commission reste pour l'heure très prudente sur le sujet.
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