Bien comprendre le présent requiert
parfois de se tourner vers le passé. A l'heure où les
Européens prennent toute la mesure des récents transferts de souveraineté
vers l'Union européenne et des bouleversement démocratiques qui en
découlent (voir notamment ceci), il est utile de se
rappeler que la volonté de mettre au pas les politiques nationales est présente dès
l'origine de la construction européenne. C'est l'un des
enseignements marquants d'un livre que je viens de terminer:
“Néo-libéralisme, version française”, publié en 2007 par François Denord.
Cet historien et sociologue y décrit,
nombreux documents à l'appui, la naissance du néo-libéralisme en
Europe dès les années 1930, en réaction au planisme par le biais duquel la
gauche entendait remédier à la crise financière. Le livre est
intéressant à plus d'un titre, en particulier dans sa description
des chemins sinueux qui ont permis
à cette idéologie de triompher dans les années 1980, après plusieurs décennies d'une lutte
politique armée intellectuellement par la société du Mont Pélerin.
J'en retiens surtout les passages
consacrés au projet européen, conçu dès le départ comme un
marché institutionnalisé, un cadre garantissant la mise en
oeuvre du programme néo-libéral indépendamment des aléas
politiques.
Plus personne n'ignore que l'Europe est est un
projet libéral. Mais certaines intentions des pères fondateurs, explicitées dans le livre,
trouvent un écho étrange aujourd'hui. Un exemple parmi d'autres, cet article de Jacques Rueff dans Le Monde en 1958 sur le "marché institutionnel". La nouveauté du traité de Rome, explique cette figure du libéralisme français, ne réside pas tant dans l'objectif qu'il poursuit - la libéralisation des échanges - que dans "les voies par lesquelles il prétend y parvenir": une construction progressive attribuant à "des institutions communautaires dotées de pouvoirs définis une fois pour toute le soin de créer le marché commun et de le défendre contre les entreprises tendant à en tourner les dispositions".
Certaines des querelles autour du traité rappellent furieusement les discussions contemporaines. François Denord explique que "certains ont perçu d'emblée" le caractère nouveau du traité, notamment un haut-fonctionnaire du service d'études économiques et financières qui "n'a eu de cesse de prévenir les autorités qu'elles se liaient les mains".
A droite, "Daniel Villey ironisait sur le soutien apporté par les socialistes à la ratification du traité. Avaient-ils seulement lu ce monument de 248 articles qui rendait caduques leurs velléités réformatrices?"
A voir comment, aujourd'hui encore, les responsables politiques nationaux découvrent - avec une guerre de retard - à quel point la pratique de la démocratie nationale est affectée par de nouvelles règles européennes, on se dit que pas grand chose n'a changé depuis l'époque du traité de Rome...
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