L'Union européenne est-elle un grand
projet de paix et de prospérité, ou plutôt une vaste bureaucratie
inutile et dépensière – quand elle ne serait pas nuisible ? Le
débat sur son budget pluri-annuel, qui s'est tenu mercredi au
Parlement européen à Strasbourg, n'a pu que rendre perplexe le
spectateur non averti.
A ma gauche, le président de la
Commission, José Barroso. A ma droite, Martin Callanan, leader de la
bruyante minorité eurosceptique britannique. Les deux hommes et une
cohorte d'affidés se sont livrés à une répétition générale du
conclave budgétaire qui s'ouvre aujourd'hui à Bruxelles.
Avec une passion confinant parfois au
pathos, Barroso a défendu toutes les lignes de son budget:
financements pour les étudiants, les chercheurs, les PME, les
régions en difficulté, les agriculteurs (voir ici).
On verse presque une larme quand il
affirme que “quelques millièmes de pourcents en moins pour le
fonds européen de développement et l’aide humanitaire c’est
tout simplement, pour les plus vulnérables de ce monde, une question
de vie ou de mort”.
Plus volontiers cynique et terre à
terre, Martin Callanan a énuméré les “gaspillages”: les
pensions "impayables" des fonctionnaires, le nouvel
immeuble de la BCE, le déménagement mensuel à Strasbourg et les
nombreuses agences.
Difficile de se faire une opinion, à
écouter des plaidoyers antagonistes mais tous deux sensés. Pour moi
qui observe de près les institutions européennes depuis 10 ans, et
bien qu'européiste convaincu, il serait malvenu de balayer d'un
revers de la main les arguments des sceptiques, comme la majorité
europhile est trop encline à le faire. Hors de l'hémicycle,
d'ailleurs, nombreux (voire majoritaires) sont ceux qui voient dans
la dépense européenne un gaspillage, mâtiné de privilèges. Difficile de leir donner complètement tort.
La Commission répète que les dépenses
administratives ne représentent que 6% du budget européen – 94%
retournent donc dans les Etats membres où ils sont affectés à des
projets aussi utiles que la construction d'autoroutes, la culture de
céréales ou le développement de pôles de recherche.
Mais 6%, ce n'est pas rien: cela
représente pas loin de 10 milliards d'euros. Evitons le poujadisme:
pour attirer des fonctionnaires capables d'élaborer des législations
complexes sur des sujets d'importance capitale et de faire la
synthèse des lois de 27 pays, la Commission doit pouvoir offrir une
rémunération attractive à ses collaborateurs – tous les Etats connaissent ce problème (voir le débat en Belgique sur la réforme
Copernic de la fonction publique).
Mais une série d'avantages alimentent
la rancoeur, plus particulièrement en période d'austérité, comme
ces primes à l'expatriation, même pour les fonctionnaires résidant
en Belgique depuis des décennies, ou l'accès privilégié aux
crèches et aux écoles - qui s'ajoutent à des salaires très
confortables indexés annuellement.
(Notons au passage que l'exonération
d'impôt sur le revenu n'est pas un véritable privilège
contrairement à ce qui est souvent affirmé: si les fonctionnaires
s'acquittaient de l'IPP belge, cela reviendrait pour les 26 autres
Etats membres à verser cet argent directement dans les caisses de la
Belgique, en plus de l'avantage que celle-ci tire de la présence des
institutions sur son sol. Par ailleurs, les fonctionnaires européens
paient les impôts locaux.)
Plus encore que le salaire confortable,
c'est un certain nombre de coutumes européennes curieuses qui
dérangent. La plus spectaculaire est sans doute la transhumance
mensuelle entre Bruxelles et Strasbourg. Coût: la bagatelle de 200
millions d'euros, l'équivalent du budget de l'aide aux Palestiniens.
Et quand on regarde de près, on trouve de nombreux exemples d'un
train de vie en décalage avec celui des autres parlements ou des
entreprises privées.
Le International Herald Tribune,
pourtant pas suspect d'europhobie, fait ainsi aujourd'hui sa une sur
“la colère du public”, en révélant que la cave du Parlement
européen renferme pas moins de 42.789 bouteilles de vin, et que la
facture d'alcool annuelle totale s'élève à 43.000 euros (ici).
Cette semaine, un fonctionnaire me
faisait observer que le Parlement ne connaissait pas l'inflation: en
dix ans les tarifs des cafétérias n'ont jamais augmenté. Au siège
bruxellois, par exemple, un sandwiche coûte à peine un euro.
L'explication m'en a été donnée un peu plus tard, au hasard d'une
rencontre dans un bar de Strasbourg fréquenté par le personnel du
Parlement. Les instances dirigeantes refuseraient toute augmentation
de prix, au point que certains articles sont vendus à perte. La
facture, épongée par le budget européen, serait plutôt salée.
Ce ne sont que des broutilles, me
fera-t-on observer. Et en effet, les montants en jeu sont sans doute
minimes en comparaison du budget total. Mais les symboles ne sont pas
sans importance. A l'heure où tous les Etats d'Europe se serrent la
ceinture, il ne serait pas compréhensible que l'Union ne sacrifie
pas quelques uns de ses privilèges. En particulier du point de vue
de la Commission, une institution qui se veut le gage de la rigueur
budgétaire et qui n'hésite pas à rappeler à l'ordre les Etats
déviants.
Renoncer aux avantages permettrait
aussi de combler le fossé qui se creuse entre les citoyens et une
Europe incarnée selon beaucoup d'entre eux par une caste déconnectée
des réalités.
En faisant cet effort à la fois
symbolique et matériel, ceux qui dirigent l'Europe gagneraient en
légitimité, et pourraient mieux se concentrer sur ce qu'elle est au
fond, et doit rester: un grand projet de paix et de prospérité.
Je vous remercie pour votre intérêt. Vous pouvez me contacter en message privé sur Facebook, via la page de Nouvelle Donne.
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