Mc Donald's vient d'annoncer qu'il ne profiterait pas de l'exemption octroyée aux partenaires des Jeux Olympiques pour défiscaliser les profits réalisés cet été à Londres. La décision ne changera pas la face du monde: de l'aveu de la société, les revenus en question ne représenteront que 0,1% des ventes annuelles réalisées au Royaume-Uni.
Mais c'est une victoire symbolique pour l'organisation 38 degrees, qui milite contre le traitement préférentiel réservé aux organisateurs des Jeux et à leurs sponsors. A l'instar de la FIFA, une organisation établie en Suisse comme lui, le Comité olympique international est en effet passé maître dans l'art de protéger ses profits de la fiscalité locale. Il est désormais coutumier que les pays candidats à l'accueil de grandes compétitions sportives renoncent à toute taxation de l'événement: sur les droits de retransmission, sur les revenus des athlètes, sur les ventes des partenaires commerciaux...
Un tel renoncement est pourtant difficilement acceptable pour les citoyens et contribuables auxquels on a vendu le projet à grands coups de "retombées positives" pour l'économie et de travaux d'infrastructures au bénéfice de tous. La réalité est souvent bien plus sombre que dans les dossiers de presse: la facture pour le contribuable est souvent multipliée par deux ou trois par rapport aux prévisions initiales et les stades laissés à l'abandon une fois l'événement terminé. L'exemple des Jeux d'Athènes en 2004 le montre à suffisance. Dans le cas de Londres, Moody's estime que les JO n'auront qu'un impact limité sur l'économie, contrairement à ce que le gouvernement britannique veut faire croire (ici). L'agence de notation souligne que ce sont surtout les partenaires commerciaux qui en tireront profit.
Il serait donc parfaitement légitime que les pays hôtes puissent récupérer une partie de l'investissement au travers de recettes fiscales, comme cela fut le cas par exemple lors de la Coupe du monde de football en Allemagne en 2006 (lire cette analyse comparative de la revue Ethical Consumer).
Une question de justice et de principes pour un monde du sport censé représenter les valeurs olympiques, mais qui incarne surtout, aux côtés de la finance, les excès de notre époque...
lundi 16 juillet 2012
Petite victoire citoyenne: le Big Mac olympique sera fiscalisé
samedi 14 juillet 2012
Qu'est-ce qu'un paradis fiscal ? Une définition controversée divise l'Union européenne
Qu'est-ce qu'un paradis fiscal ? Pour le commun des mortels, la réponse est évidente, comme pour le dictionnaire, qui le définit comme un "lieu, pays où l'on paie peu d'impôts" (Robert). Mais il n'existe en réalité aucune définition officielle: toutes les tentatives d'établir une liste basée sur des critères précis ont été discrètement sabordées par ceux qui ne veulent pas qu'on braque les projecteurs sur les recoins opaques de la finance mondiale. C'est ce qui risque de se passer, une nouvelle fois, dans l'Union européenne. J'y reviendrai un peu plus bas, mais pour bien comprendre, un petit retour en arrière s'impose.
La dernière tentative sérieuse de trouver une définition a été lancée au G20 de Londres en 2009, où les dirigeants de la planète proclamèrent fièrement la fin des paradis fiscaux. Dans la foulée, l'OCDE a publié des listes noire, grise en blanche ("juridictions ne s'étant pas engagées à mettre en oeuvre les standards fiscaux internationaux", "juridictions s'étant engagées à respecter les standards fiscaux internationaux mais ne les ayant pas substantiellement mis en oeuvre" et "juridictions ayant substantiellement mis en oeuvre les standards").
Le 2 avril 2009, le monde fut ébahi de découvrir que, selon les critères retenus, les pires trous noirs financiers de la planètes étaient le Costa Rica, la Malaisie, les Philippines et l'Uruguay, tandis que de véritables paradis fiscaux, comme Jersey ou l'île de Man étaient blanchis. Les grandes nations s'étaient aussi arrangées pour que leurs propres jardins secrets (la city de Londres, l'Etat américain du Delaware ou Hong-Kong pour la Chine) ne soient pas mis en évidence.
Quant aux pays placés sur la liste grise (îles Caïmans, Luxembourg, Belgique, Liechtenstein, Suisse, Singapour, îles vierges britanniques, Autriche...), ils protestèrent vivement (voir cette interview du Premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker), mais l'affront fut de courte durée. Il ne leur fut pas très difficile de se refaire une réputation, tant les critères choisis étaient faibles.
Des critères très faibles
Pour ne pas figurer sur la liste noire, un pays doit simplement signifier à l'OCDE son engagement à respecter "le standard fiscal agréé internationalement", qu'elle a elle-même mis au point. Cette norme prévoit que le pays accepte de fournir à un autre Etat qui le demande des informations sur un contribuable. Soit un échange basé sur une demande motivée et argumentée, qui ne permet de combattre que les cas les plus graves de fraude. Pour obtenir l'information à l'étranger, le fisc doit effet pouvoir étayer ses accusations, alors qu'il ne dispose que de peu d'élements concrets face à des montages complexes. Cet échange sur demande constitue donc un progrès par rapport à l'opacité totale, mais il n'autorise pas une vérification rapide et systématique comme dans le cas d'un échange automatique d'informations. Le standard automatique est défendu par les organisations de justice fiscale depuis longtemps. Depuis peu, l'OCDE elle-même a commencé à le promouvoir plus activement (voir ceci).
Pour sortir de la liste grise, un pays doit non seulement accepter le principe de l'échange sur demande, mais l'avoir mis en oeuvre "substantiellement". Ici, l'OCDE se satisfait qu'un pays ait transposé ce principe dans 12 conventions bilatérales. Peu lui importe que ce soit avec la Groenland et le Botswana ou avec des pays économiquement significatifs. Une condition tellement facile à remplir que tous les pays visés ont rejoint la liste blanche les uns après les autres en quelques mois. Dans la dernière version du rapport de progrès, les listes noire et grise sont désormais vides. Tout le monde sait bien, pourtant, que les paradis fiscaux n'ont pas disparu.
Nouvel effort européen
Cet échec (en lequel l'OCDE a pourtant vu un relatif succès) n'est ni la première, ni la dernière tentative de mettre au point une liste infamante des paradis fiscaux. Déjà au début des années 2000, la même organisation s'efforçait de définir des critères, sans parvenir à des résultats suffisamment clairs (voir ici). Les efforts du GAFI (le Groupe d'action financière, qui agit contre le blanchiment et le financement du terrorisme) ne sont pas plus fructueux...
D'où l'intérêt que revêt un nouvel essai, entrepris cette fois dans les instances de l'Union européenne, au détour d'un projet de législation pourtant relativement anecdotique. Le Conseil des 27 ministres des finances et le Parlement européen, les deux co-législateurs de l'UE, sont en passe d'approuver une proposition sur les fonds de capital-risque, ces fonds qui investissent dans les start-up et qui recevront un traitement préférentiel parce qu'ils sont jugés bons pour le lancement d'entreprises innovantes. Un point bloque: comment éviter que des fonds établis dans des paradis fiscaux profitent des nouveaux avantages. Le rapporteur parlementaire, l'écologiste Philippe Lamberts, veut une définition étendue des paradis fiscaux, incluant les pays où la fiscalité est inexistante ou qui offrent des avantages sans activité économique réelle. Mais une large minorité d'Etats membres bloque le dossier pour obtenir que la définition soit limitée à une référence inoffensive aux listes de l'OCDE et du GAFI (ici).
Le sale jeu des Pays-Bas
Cette minorité de blocage a été constituée à l'initiative des Pays-Bas, un détail qui n'est pas anodin. Ce pays se positionne en effet activement comme la juridiction de référence pour le rapatriement de profits ayant transité par des paradis fiscaux. Une sorte de paradis fiscal intermédiaire, aussi appelé en anglais "conduit jurisdiction" - soit une conduite, un tuyau. La législation néerlandaise permet en effet aisément de constituer une holding servant à acheminer les dividendes et les royalties à leur bénéficiaire final sans payer d'impôt (voir notamment cette infographie en néerlandais, publiée par le Financieel Dagblad ou le mécanisme du dutch sandwich). Ces mécanismes sont utilisés abondamment par les multinationales: parmi les 100 plus grosses sociétés du monde, 80 ont une holding néerlandaise (ici).
On peut donc tout à fait imaginer qu'un projet de législation européenne pénalisant certains transferts financiers venant de paradis fiscaux inquiète le gouvernement néerlandais. Les Pays-Bas sont soutenus notamment par le Royaume-Uni, le Luxembourg, Chypre et Malte, des pays qui ont, à des degrés divers, eux aussi mis en place des stratégies d'évitement fiscal. La Haye peut compter sur la présidence chypriote pour défendre activement son point de vue dans les négociations qui reprendront après les mois d'été.
Le point peut sembler insignifiant. Je pense au contraire qu'il mérite de recevoir une grande attention. Les listes de paradis fiscaux amènent, par elles seules, certains à changer leurs pratiques pour sauvegarder leur réputation. Si elles sont intégrées en outre à des législations anti-abus, elles deviendront véritablement efficaces. L'enjeu est donc à la fois symbolique et très concret.
Dans l'attente d'une définition officielle et légale, on pourra toujours se référer au classement établi par l'ONG Tax Justice Network, sur base d'une méthodologie très sérieuse. Avec la Suisse, les îles Caïmans et le Luxembourg à sa tête, il est nettement plus crédible que les listes médiocres mises en place par les gouvernements jusqu'à présent...
UPDATE: pour des informations plus récentes dans ce dossier, voir ceci
La dernière tentative sérieuse de trouver une définition a été lancée au G20 de Londres en 2009, où les dirigeants de la planète proclamèrent fièrement la fin des paradis fiscaux. Dans la foulée, l'OCDE a publié des listes noire, grise en blanche ("juridictions ne s'étant pas engagées à mettre en oeuvre les standards fiscaux internationaux", "juridictions s'étant engagées à respecter les standards fiscaux internationaux mais ne les ayant pas substantiellement mis en oeuvre" et "juridictions ayant substantiellement mis en oeuvre les standards").
Le 2 avril 2009, le monde fut ébahi de découvrir que, selon les critères retenus, les pires trous noirs financiers de la planètes étaient le Costa Rica, la Malaisie, les Philippines et l'Uruguay, tandis que de véritables paradis fiscaux, comme Jersey ou l'île de Man étaient blanchis. Les grandes nations s'étaient aussi arrangées pour que leurs propres jardins secrets (la city de Londres, l'Etat américain du Delaware ou Hong-Kong pour la Chine) ne soient pas mis en évidence.
Quant aux pays placés sur la liste grise (îles Caïmans, Luxembourg, Belgique, Liechtenstein, Suisse, Singapour, îles vierges britanniques, Autriche...), ils protestèrent vivement (voir cette interview du Premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker), mais l'affront fut de courte durée. Il ne leur fut pas très difficile de se refaire une réputation, tant les critères choisis étaient faibles.
Des critères très faibles
Pour ne pas figurer sur la liste noire, un pays doit simplement signifier à l'OCDE son engagement à respecter "le standard fiscal agréé internationalement", qu'elle a elle-même mis au point. Cette norme prévoit que le pays accepte de fournir à un autre Etat qui le demande des informations sur un contribuable. Soit un échange basé sur une demande motivée et argumentée, qui ne permet de combattre que les cas les plus graves de fraude. Pour obtenir l'information à l'étranger, le fisc doit effet pouvoir étayer ses accusations, alors qu'il ne dispose que de peu d'élements concrets face à des montages complexes. Cet échange sur demande constitue donc un progrès par rapport à l'opacité totale, mais il n'autorise pas une vérification rapide et systématique comme dans le cas d'un échange automatique d'informations. Le standard automatique est défendu par les organisations de justice fiscale depuis longtemps. Depuis peu, l'OCDE elle-même a commencé à le promouvoir plus activement (voir ceci).
Pour sortir de la liste grise, un pays doit non seulement accepter le principe de l'échange sur demande, mais l'avoir mis en oeuvre "substantiellement". Ici, l'OCDE se satisfait qu'un pays ait transposé ce principe dans 12 conventions bilatérales. Peu lui importe que ce soit avec la Groenland et le Botswana ou avec des pays économiquement significatifs. Une condition tellement facile à remplir que tous les pays visés ont rejoint la liste blanche les uns après les autres en quelques mois. Dans la dernière version du rapport de progrès, les listes noire et grise sont désormais vides. Tout le monde sait bien, pourtant, que les paradis fiscaux n'ont pas disparu.
Nouvel effort européen
Cet échec (en lequel l'OCDE a pourtant vu un relatif succès) n'est ni la première, ni la dernière tentative de mettre au point une liste infamante des paradis fiscaux. Déjà au début des années 2000, la même organisation s'efforçait de définir des critères, sans parvenir à des résultats suffisamment clairs (voir ici). Les efforts du GAFI (le Groupe d'action financière, qui agit contre le blanchiment et le financement du terrorisme) ne sont pas plus fructueux...
D'où l'intérêt que revêt un nouvel essai, entrepris cette fois dans les instances de l'Union européenne, au détour d'un projet de législation pourtant relativement anecdotique. Le Conseil des 27 ministres des finances et le Parlement européen, les deux co-législateurs de l'UE, sont en passe d'approuver une proposition sur les fonds de capital-risque, ces fonds qui investissent dans les start-up et qui recevront un traitement préférentiel parce qu'ils sont jugés bons pour le lancement d'entreprises innovantes. Un point bloque: comment éviter que des fonds établis dans des paradis fiscaux profitent des nouveaux avantages. Le rapporteur parlementaire, l'écologiste Philippe Lamberts, veut une définition étendue des paradis fiscaux, incluant les pays où la fiscalité est inexistante ou qui offrent des avantages sans activité économique réelle. Mais une large minorité d'Etats membres bloque le dossier pour obtenir que la définition soit limitée à une référence inoffensive aux listes de l'OCDE et du GAFI (ici).
Le sale jeu des Pays-Bas
Cette minorité de blocage a été constituée à l'initiative des Pays-Bas, un détail qui n'est pas anodin. Ce pays se positionne en effet activement comme la juridiction de référence pour le rapatriement de profits ayant transité par des paradis fiscaux. Une sorte de paradis fiscal intermédiaire, aussi appelé en anglais "conduit jurisdiction" - soit une conduite, un tuyau. La législation néerlandaise permet en effet aisément de constituer une holding servant à acheminer les dividendes et les royalties à leur bénéficiaire final sans payer d'impôt (voir notamment cette infographie en néerlandais, publiée par le Financieel Dagblad ou le mécanisme du dutch sandwich). Ces mécanismes sont utilisés abondamment par les multinationales: parmi les 100 plus grosses sociétés du monde, 80 ont une holding néerlandaise (ici).
On peut donc tout à fait imaginer qu'un projet de législation européenne pénalisant certains transferts financiers venant de paradis fiscaux inquiète le gouvernement néerlandais. Les Pays-Bas sont soutenus notamment par le Royaume-Uni, le Luxembourg, Chypre et Malte, des pays qui ont, à des degrés divers, eux aussi mis en place des stratégies d'évitement fiscal. La Haye peut compter sur la présidence chypriote pour défendre activement son point de vue dans les négociations qui reprendront après les mois d'été.
Le point peut sembler insignifiant. Je pense au contraire qu'il mérite de recevoir une grande attention. Les listes de paradis fiscaux amènent, par elles seules, certains à changer leurs pratiques pour sauvegarder leur réputation. Si elles sont intégrées en outre à des législations anti-abus, elles deviendront véritablement efficaces. L'enjeu est donc à la fois symbolique et très concret.
Dans l'attente d'une définition officielle et légale, on pourra toujours se référer au classement établi par l'ONG Tax Justice Network, sur base d'une méthodologie très sérieuse. Avec la Suisse, les îles Caïmans et le Luxembourg à sa tête, il est nettement plus crédible que les listes médiocres mises en place par les gouvernements jusqu'à présent...
UPDATE: pour des informations plus récentes dans ce dossier, voir ceci
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