En ces temps troublés où l'on commémore des passés qui semblent ressembler à nos avenirs, il est une confusion sémantique dont les médias sont particulièrement friands. J'ai nommé la journée de libération fiscale, célébrée partout dans le monde comme le "le jour où le travailleur moyen cesse de travailler pour l’État et commence à travailler pour lui-même".
En Belgique, la Libération, c'est pour demain le 6 août, ont fait savoir des instituts néolibéraux et cabinets d'audit, repris à l'unisson par les médias (voir notamment Le Soir). Ceux qui ont vécu celle de l’été 1944 apprécieront le mélange des genres.
Il n'est pas inutile de rappeler que la journée de libération fiscale est un concept véhiculé à l'origine par la droite ultra-libérale américaine, sous le nom de Tax Freedom Day. Il se dit que l'économiste Milton Friedman, grand pourfendeur de l'Etat et des politiques keynésiennes, voulait en faire la jour de la fête nationale (ici)!
Nul ne pourrait douter que le travail est trop taxé en Europe, et singulièrement en Belgique, où les travailleurs sont tout simplement les plus imposés au monde. Baisser cette fiscalité en la compensant par des taxes environnementales ou sur le capital s'impose comme une évidence.
Il n'en reste pas moins que la journée de libération fiscale est une idée fumeuse. Dans cette conception pour le moins étroite, l’État est un corps étranger qui ponctionne ses citoyens, tandis que les notions de redistribution et de service public n’existent tout simplement pas. On travaillerait pour soi une partie de l'année et pour un monstre assoiffé d'impôts le reste du temps. On oublie que les services publics fonctionnent toute l'année, et que les impôts servent aussi à atténuer les inégalités qui se sont tant creusées ces dernières décennies. On oublie de signaler que les pays qui sont "libérés" le plus tard sont aussi souvent ceux qui sont les mieux classés dans l'indice de développement humain de l'ONU.
J'ai déjà écrit ceci dans un livre consacré à la concurrence fiscale en Europe. A ce titre, j'ai été invité à débattre de la journée de libération fiscale avec Cécile Philippe de l'institut Molinari (en podcast ici, à partir de 25'00).