"Ce que l'Europe n'a pas réussi, les Américains sont en train de le faire", confesse un haut fonctionnaire européen. Depuis 1989 (!), quand elle a libéralisé la circulation des capitaux, l'Union européenne cherche à se doter d'un système permettant d'empêcher l'évasion fiscale des particuliers. Puisqu'il était désormais possible de déplacer son argent sans contrainte, il fallait aussi empêcher que des contribuables indélicats ne le placent à l'abri du fisc dans le pays voisin. Telle était la logique qui prévalait à l'époque. Mais aujourd'hui, si les capitaux circulent sans entrave dans le marché intérieur, il n'en va pas de même pour les informations visant à assurer leur taxation effective.
Certes, l'Union a mis en place un système automatique d'échange d'informations sur l'épargne, mais le Luxembourg et l'Autriche refusent toujours d'y participer (ici), de même que la Suisse. Dans les pays de droit anglo-saxon, les règles sont contournées par le biais de trusts et autres structures opaques (ici). Bref, les solution ne manquent pas pour ceux qui ne veulent pas payer d'impôt sur les revenus de leur patrimoine financier...
Mais une nouvelle loi venue d'outre-Atlantique est en train de changer la donne. Baptisée FATCA (j'en ai déjà parlé ici et ici), elle imposera, à partir 1er janvier 2014, un échange automatique d'informations sur tous les avoirs des résidents américains. Les banques et pays récalcitrants seront frappées d'un prélèvement très dissuasif.
Partout dans le monde, et particulièrement dans les paradis fiscaux, l'incrédulité initiale a fait place à la résignation. Les Etats-Unis ont beau être une puissance sur le déclin, leur capacité d'action unilatérale reste considérable... Dans les négociations fiscales avec les pays tiers, Washington a d'ailleurs toujours su se montrer très persuasif. Ce qui est nouveau avec FATCA, c'est le caractère systématique. Toute banque sur la planète sera sommée de collaborer, sans exception.
En Suisse, au Luxembourg et ailleurs, on se prépare désormais à l'inéluctable disparition du secret bancaire, ce paravent commode pour refuser de coopérer. Et comme l'affirme le ministre luxembourgeois Luc Frieden, "il sera difficile de refuser aux États européens ce que nous aurons accepté de faire avec les États-Unis" (ici).
Les Etats européens semblent donc sur le point d'obtenir, grâce à l'impérialisme américain, ce qu'un quart de siècle de négociations n'a pas permis de réaliser en interne. En fait, il ne sera pas seulement "difficile" de refuser l'équivalence, comme le dit Luc Frieden. Ce sera carrément illégal, en vertu d'une loi européenne récente.
Cette directive sur la coopération administrative de 2011 contient en effet une sorte de clause de la nation plus favorisée (article 19). En clair, dès que le Luxembourg transmettra aux Etats-Unis des informations requises par FATCA, il sera tenu d'offrir la même transparence aux autres pays européens. Les défenseurs du secret bancaire "devaient être distraits au moment où cette clause a été négociée", s'amuse notre haut-fonctionnaire.
On peut compter sur l'inépuisable créativité des "ingénieurs fiscaux" pour trouver de nouvelles astuces. Mais le secret bancaire, qui était l'un des plus puissants prétextes facilitant l'évasion fiscale, semble bien en train de vivre ses dernières heures.
Attention quand même à la terminologie :
RépondreSupprimer- la fraude fiscale (tax evasion ou tax fraud) est de la fraude fiscale, pénalement punissable.
- l'évasion fiscale (tax avoidance) est légale : c'est éviter de se mettre dans une situation taxable ou de minimiser l'impôt légalement. Ainsi, lorsque vous allez de Bruxelles à strasbourg, faire le plein de votre voiture au Luxembourg plutôt qu'en France ou en Belgique, c'est de l'évasion fiscale internationale. Eh oui.
La plupart des gens, suite à une mauvaise traduction de l'anglais vers le français, mettent dans le même sac fraude et évasion fiscale. S'ils savaient qu'ils font de l'évasion fiscale internationale en passant par le Luxembourg en allant vers le Sud, ils seraient bien étonnés. Les mots ont pourtant une signifcation précise.
J'utilise parfois indistinctement les deux notions précisément pour montrer (en fait c'est même la raison d'être de ce blog) que la frontière entre ce qui est légal et ce qui ne l'est pas est aussi fine qu'un papier de cigarette. Auourd'hui, l'enjeu politique, ce n'est pas tellement la fraude fiscale, c'est celui de l'évitement: comment taxer une série de rentes qui échappent à l'impôt en toute légalité.
RépondreSupprimerC'est ce qu'a exprimé la députée britannique Margaret Hodge lors des auditions récentes sur les affaires Starbucks & co: "We are not accusing you of being illegal, we are accusing you of being immoral".
La différence entre fraude fiscale et évasion fiscale n'est pas aussi mince que l'on pourrait croire : la différence, c'est cinq ans de prison au minimum. ;-)
RépondreSupprimerMais c'est vrai que l'on peut légitimement s'interroger sur la rétribution, aujourd'hui fiscalement admise, des marques, des brevets, du know-how et des droits incorporels en général. Je pense que c'est dans ce domaine-là qu'il faudrait porter le fer en priorité si l'on veut commencer à moraliser la fiscalité des multinationales.