jeudi 27 juin 2013

Europe-USA: exceptionnelle, la culture ?

"La culture n'est pas une marchandise, on ne peut pas la mettre sur la même table que des voitures, des lampes ou des boulons". Le cinéaste Radu Mihaileanu résumait ainsi récemment (ici) le concept d'exception culturelle, cette idée très française que la culture devrait être mise à l'abri des lois du marché.
Le francophile président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, semble avoir bien incorporé le principe: "l'exception culturelle n'est pas négociable. La culture n'est pas une marchandise", répète-t-il à qui veut l'entendre. Pourquoi alors cette violente polémique des derniers jours entre Paris et Bruxelles ? Quelque chose doit s'être perdu dans la traduction, entre Costa-Gavras qui voit en Barroso "un homme dangereux pour la culture", l'intéressé qualifiant de "réactionnaires" les défenseurs de l'exception et Arnaud Montebourg concluant que le président de la Commission est "le carburant du Front National" (aah, le point Le Pen, cette version française du point Godwin).
Qu'est-ce qui se cache derrière ces amabilités, derrière la querelle sémantique ? Instinctivement, on ne peut qu'éprouver de la sympathie pour ce petit village gaulois qui résiste encore et toujours à l'envahisseur. Refuser de manger de la grosse production d'Hollywood matin, midi et soir est a priori plutôt sain pour l'esprit. Soutenir le film local, le fait-main, la qualité "made in France", cela semble tomber sous le sens.
Mais la culture est-elle à ce point exceptionnelle ? Pourquoi pas une exception gastronomique pour nous protéger des McDonalds ? Une exception agricole face aux boeufs hormonés, aux poulets chlorés et autres barbaries américaines ? Ou même, pourquoi pas, une exception industrielle, comme le suggère dans un tweet Michel Onfray (point Le Pen, bis) ?
Car au final, la culture vaut-elle vraiment plus que les voitures, les boulons ? C'est peut-être à l'aune de cette interrogation qu'il faut comprendre le "réactionnaire" de Barroso, cet ancien maoïste (voir cette vidéo de jeunesse). L'exception culturelle serait réactionnaire au sens de la révolution culturelle ? A méditer...
En matière de négociations avec les Etats-Unis, il convient en tout cas de se garder, comme le conseillait Mao, de "voir les arbres et non la forêt". Car la culture n'est qu'un paramètre parmi beaucoup d'autres.
Dans le domaine agricole, à coup sûr, Washington cherchera des débouchés pour des produits fabriqués dans des conditions qui rebutent la plupart des Européens. Le chapitre sur l'investissement pose d'autres questions essentielles: il est envisagé de favoriser les possibilités d'arbitrages privés, vous savez du genre qui a conduit l'Etat français à verser plus de 400 millions d'euros à Bernard Tapie dans des conditions douteuses. Derrière cette affaire très médiatique, le "boom de l'arbitrage" alimenté par des cabinets juridiques coûterait des milliards de dollars aux contribuables, selon un rapport publié récemment par deux ONG.
Ces problèmes et d'autres doivent être soulevés, quand bien même la culture resterait une exception. Et derrière eux, une question doit être posée: jusqu'où l'Europe est-elle prête à aller pour relancer sa croissance moribonde ? Quels principes, quelles exceptions sommes-nous prêts à échanger contre des emplois ?

lundi 10 juin 2013

"Prêt citoyen thématique": comment le gouvernement recycle votre épargne - et ses idées

Belle convergence de vues, ce dimanche, sur le plateau de Mise au Point entre les partis de la majorité. L'abondante épargne des Belges (245 milliards d'euros*) sera canalisée grâce au "prêt citoyen thématique", parfois appelé aussi "grand emprunt populaire". Même l'opposition est prête à s'y rallier. "Quand il y a un bon projet, on le soutient", affirme le député Ecolo Georges Gilkinet.
L'idée ? Les banques pourront offrir aux ménages des bons de caisse à 5 ou 7 ans bénéficiant d'une taxation réduite (précompte mobilier à 15% au lieu de 25%), à condition que l'argent soit dirigé vers des "projets ayant une finalité socio-économique ou sociétale". Ces placements seront thématiques: on pourra choisir de financer des hôpitaux, des prisons ou des PME. Grâce à la fiscalité plus favorable, le gouvernement assure que ces bons offriront un rendement légèrement supérieur aux conditions du marché.
Ce que n'ont pas dit à la télé dimanche les représentants du gouvernement, c'est que ça coince encore  politiquement. Deux jours plus tôt, l'Open Vld a bloqué le dossier en comité ministériel restreint. Il faut dire: l'expression d'"emprunt populaire" ("volkslening"), ne sonne pas très libéral - libéral flamand encore moins. Le parti conditionne donc son soutien à la réforme d'une loi de 1996 sur la compétitivité et les salaires, sujet ô combien sensible. Il nous revient que le ministre des Finances, le CD&V Koen Geens, a très moyennement apprécié ce marchandage de dernière minute.
Qu'à cela ne tienne, le "ministre qui rit" - de "lachende minister" comme on le surnomme en Flandre - a défendu le projet dimanche. Le prêt citoyen thématique sera disponible dans toutes les bonnes épiceries à partir de novembre, a-t-il assuré.
Le dossier est en effet plus au moins finalisé au niveau des experts. Il a fallu pas moins d'une année de travail pour aboutir à une texte consensuel, assez différent du "livret B" proposé initialement par les socialistes au parlement ou du "livret vert" esquissé par Ecolo. A l'époque, il était question d'imiter le "livret A" français, servant principalement à financer le logement social.
Le projet est désormais considérablement "libéralisé": plus question de taux garanti. Plus question non plus de créer une structure publique chargée d'orienter les fonds (type Banque publique d'investissement voulue par François Hollande): ce sont les banques elles-même qui choisiront comment investir les fonds levés, sur base de critères qui devront être déterminés ultérieurement par arrêté royal.
Comment éviter dès lors qu'elles ne recyclent sous forme de "prêt citoyen" des prêts qui auraient de toute façon été accordés aux PME ? Il sera difficile de le déterminer. De là à imaginer que l'"emprunt populaire" n'est qu'une façon déguisée de ramener à 15% un précompte mobilier que le gouvernement Di Rupo a relevé à 25%, il n'y a qu'un pas...







* voir aussi ces statistiques qui montre que le taux d'épargne des Belges n'est plus tellement supérieur au reste de l'Europe, contrairement à une idée reçue. En France, en Allemagne, on épargne davantage.